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Le retour de Thaïs à Paris

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
04/09/2022 -  
Jules Massenet : Thaïs
Ermonela Jaho (Thaïs), Ludovic Tézier (Athanaël), Pene Pati (Nicias), Guilhem Worms (Palémon), Cassandre Berthon (Crobyle, La charmeuse), Marielou Jacquard (Myrtale), Marie Gautrot (Albine), Cyril Verhulst, Mathieu Cabanes, Pascal Bourgeois, Patrick Ivorra, Pierre Benusiglio (Cénobites), Robert Jezierski (Un serviteur)
Chœur de Radio France, Franck Villard (chef de chœur), Orchestre national de France, Pierre Bleuse (direction)


L. Tézier (© Cassandre Berthon)


A en juger par l’accueil triomphal que lui a réservé le public des Champs‑Elysées, l’Opéra de Paris serait bien inspiré d’afficher Thaïs. De la comédie lyrique de Massenet la salle de l’avenue Montaigne a en effet proposé une simple version de concert, comme le fit en son temps le Châtelet, avec Renée Fleming et Gerald Finley, sous la direction de Christoph Eschenbach – l’Opéra‑Comique, entretemps, n’avait donné que des extraits.


La courtisane repentie est cette fois Ermonela Jaho, telle qu’en elle‑ même, familière du rôle. La voix, à l’émission serrée, est toujours très artistement conduite, notamment grâce à la maîtrise du souffle, capable d’émettre des pianissimi aigus d’une beauté liquide. La soprano albanaise incarne Thaïs comme elle incarne Violetta, avec une intensité frémissante et émouvante, consumée jusqu’à la rédemption. Ainsi transcende‑ t‑elle plus ou moins ses propres limites. Elle reste en effet légère pour ce rôle de grand soprano lyrique, surtout du médium au grave, où la chair et le soutien font défaut. L’articulation manque aussi de netteté lorsque le chant doit se modeler sur la déclamation.


Un an après sa prise de rôle monégasque, Ludovic Tézier chante Athanaël. La voix de bronze, qui rayonne du grave à l’aigu, se déploie dans une ligne à la beauté patricienne, jamais éprouvée par la violence de l’anathème ou de la tentation, d’où peut également émaner une tendresse ambiguë. Un digne successeur des Charles Cambon, des Ernest Blanc ou des Robert Massard, pour ne nommer qu’eux, incarnation du grand style français. Et lui a l’exact format d’Athanaël, par la puissance et l’étendue. Son moine, néanmoins, pâtit d’une caractérisation un peu uniforme pour un être aussi tourmenté, comme si l’interprète s’effaçait derrière le chanteur.


Pene Pati en Nicias, c’est du luxe. Depuis son éblouissant Roméo à Favart l’an dernier, on connaît son intimité avec l’opéra français et il n’a guère à envier à l’ermite pour la qualité de la déclamation. Sa voix de Duc de Mantoue donne surtout au jouisseur blasé, que des ténors trop légers transforment souvent en petit marquis, une dimension nouvelle, à la fois plus lyrique et plus mâle. On a aussi judicieusement distribué les rôles secondaires : Palémon très « pater profundus » de Guilhem Worms, Albine imposante de Marie Gautrot, sémillantes Crobyle et Myrtale de Cassandre Berthon et Marielou Jacquard.


Pierre Bleuse a‑t‑il voulu casser une certaine image de Massenet musicien des pâmoisons, dont les jeunes modistes, à en croire Debussy, fredonnaient la musique en s’éveillant ? Voilà la partition décapée, d’une netteté nouvelle de lignes et de couleurs, celles d’un National très en forme, et dépourvue de tout kitsch dans son orientalisme. Cette implacable direction en révèle aussi la violence souvent contenue, avec un grand sens du théâtre. Mais le futur chef de l’Intercontemporain prive, en même temps, l’œuvre de sa sensualité et de son mysticisme, notamment pour la célébrissime Méditation, que le violon de Luc Héry ne parvient pas à arracher à la terre. Et il oublie, peut‑être victime de l’acoustique du lieu, que l’équilibre entre l’orchestre et les voix constitue la pierre d’achoppement des versions de concert : elles sont maintes fois couvertes, parfois même celle de Ludovic Tézier. On ne se plaindra pas de l’absence du ballet, même si les vocalises de la Charmeuse y scintillent délicieusement. Mais arrêter la première partie du concert après la Méditation est une incongruité : le second tableau du premier acte répond étroitement au premier.



Didier van Moere

 

 

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