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Un opéra contemporain accessible à tous

Geneva
Grand Théâtre
03/29/2022 -  et 31* mars, 2, 3, 5 avril 2022
Peter Eőtvős : Sleepless
Victoria Randem (Alida), Linard Vrielink (Asle), Hanna Schwarz (Old Woman), Katharina Kammerloher (Mother, Midwife), Sarah Defrise (Girl), Jan Martinik (Innkeeper), Tómas Tómasson (Man in black), Roman Trekel (Boatman), Siyabonga Maqungo (Jeweler), Arttu Kataja (Asleik), Matthew Pena, Sotiris Charalampous, Fermin Basterra, Jaka Mihelac, Rory Green, Jonas Böhm (sextuor de marins), Samantha Britt, Nicole Hyde, Rowan Hellier, Kristin Anna Guomundsdottir, Kirsten-Josefine Grützmacher, Alexandra Yangel (sextuor vocal)
Orchestre de la Suisse Romande, Peter Eőtvős*/Maxime Pascal (direction musicale)
Kornél Mundruczó (mise en scène), Monika Pormale (décors et costumes), Felice Ross (lumières), Kata Weber, Jana Beckmann (dramaturgie)


(© Magali Dougados)


Alida et Asle sont un couple de jeunes adolescents sur la côte norvégienne. Encore mineurs, ils ne peuvent pas se marier, comme ils le voudraient. Alida est enceinte. Vivant en marge de la société, sans argent, incompris et rejetés par tous, ils décident de s’enfuir. L’enfant naît. Pour protéger sa petite famille, Asle commet des meurtres, plongeant dans l’horreur un petit village de pêcheurs. Sans nouvelles de lui, Alida rencontre Asleik, qu’elle a connu lorsqu’elle était enfant. Ce dernier lui confie qu’Asle a été pendu. Alida décide alors de retourner chez elle avec l’aide d’Asleik. Devenue vieille, elle parle toute seule, racontant sa vie à Asle, qu’elle n’a jamais oublié : elle habite maintenant une grande maison au bord de la mer et leur fils a quitté la maison. Elle entre dans l’eau et les vagues se referment sur elle. Ce jeune couple façon Bonnie & Clyde est le protagoniste de Sleepless, le dernier ouvrage lyrique de Peter Eőtvős, créé à Berlin en novembre dernier et repris actuellement au Grand Théâtre de Genève, coproducteur.


L’idée de Sleepless revient à Matthias Schulz, intendant du Staatsoper Unter den Linden de Berlin et futur directeur de l’Opernhaus de Zurich, lequel a proposé à Peter Eőtvős de s’inspirer des trois courts romans qui forment la Trilogie du Norvégien Jon Fosse (Insomnie (2009), Les Rêves d’Olav (2014) et Au tomber de la nuit (2016)). Sleepless est le treizième opéra de Peter Eőtvős, âgé aujourd’hui de 78 ans. Son premier opus lyrique, Trois Sœurs, d’après Tchekhov, a connu un immense succès à sa création en 1998 à l’Opéra de Lyon et est depuis entré au répertoire de plusieurs théâtres. Fort de cette première réussite lyrique, le compositeur hongrois a multiplié les ouvrages, le plus souvent sur la base de textes d’auteurs contemporains, comme Tony Kushner pour Angels in America, Gabriel García Márquez pour De l’amour et autres démons ou encore Alessandro Baricco pour Senza sangue. Comme il le raconte dans le programme de salle, Peter Eőtvős tient à entrer en contact avec l’auteur. Pour Sleepless, il a rencontré Jon Fosse dans un café à Vienne. L’écrivain norvégien lui a dit qu’il ne souhaitait pas relire le livret et qu’il pouvait disposer de son texte comme il l’entendait. L’écriture de Jon Fosse est peu narrative, elliptique et le plus souvent sans ponctuation. Mari Mezei, épouse de Peter Eőtvős, a écrit le livret en adaptant librement les quelques éléments à sa disposition. L’intrigue peut paraître relativement mince et la fin plutôt attendue, mais Peter Eőtvős a néanmoins réussi à composer un ouvrage original, qu’il a appelé « opéra‑ballade », et surtout au langage musical très accessible. L’œuvre est découpée en treize scènes, dont chacune revêt une couleur et une atmosphère spécifiques.


La partie orchestrale, totalement compréhensible, souvent mélodieuse et toute en finesse, extrêmement fluide aussi, comprend de très nombreux solos, dont s’acquittent parfaitement les musiciens de l’Orchestre de la Suisse Romande, placés sous la direction du compositeur. On notera aussi l’utilisation de chansons traditionnelles norvégiennes et l’intervention à plusieurs reprises d’un chœur de femmes qui commente l’action. Les parties vocales sont, elles, beaucoup plus austères et compliquées pour les chanteurs, reflétant les tensions entre les personnages. La distribution est d’excellent niveau. Elle est emmenée par la sensible et poignante Alida de Victoria Randem, au timbre lumineux et à la ligne de chant homogène, toujours parfaitement contrôlée. Linard Vrielink est tout aussi convaincant en Asle fébrile et agité, sans cesse hésitant et ne maîtrisant jamais les actes qu’il commet. Il incarne en tout cas à la perfection le titre de l’ouvrage, en jeune homme agité, pressé de vivre et n’arrivant pas à se poser. On mentionnera aussi la prostituée aguicheuse et haute en couleur de Sarah Defrise, aux vocalises impressionnantes. Et on n’oubliera pas de sitôt l’homme en noir mystérieux et terrifiant à la fois de Tómas Tómasson.


La mise en scène se veut très réaliste, mais elle a aussi un côté poétique. Un saumon géant occupe le plateau du Grand Théâtre. Il fait référence au livret (« vouloir vivre là où le fjord scintille et où le saumon saute hors de l’eau ») et pivote sur lui-même pour figurer les logements des protagonistes, celui de la mère d’Alida, de la sage‑femme, ou encore une auberge. Le metteur en scène, le cinéaste hongrois Kornél Mundruczó, nous entraîne dans une Norvège aux couleurs blafardes, isolée du reste du monde et peuplée de personnages repliés sur eux‑mêmes. Les meurtres commis par Asle ne sont jamais véritablement montrés, et d’ailleurs chaque fois qu’il passe à l’acte, Alida se met à rêver, d’où peut‑être aussi le titre de l’ouvrage. Vraiment dommage que le public ne se soit pas déplacé plus nombreux pour assister à ce très beau spectacle. L’opéra contemporain n’est pas inaccessible, le mythe à la vie dure.



Claudio Poloni

 

 

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