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« Au concert on doit s’amuser ! » Strasbourg Palais de la Musique 03/24/2022 - et 25 mars 2022 Johann Sebastian Bach : Suite pour orchestre n° 4 en ré majeur, BWV 1069 – Concerto pour violon n° 2 en mi majeur, BWV 1042
Jean-Féry Rebel : Les Elémens : « Le Cahos »
Joseph Haydn : Symphonie n° 98 en si bémol majeur, Hob. I:98 Sergei Krylov (violon)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Ton Koopman (direction) T. Koopman (© Grégory Massat)
Certes Ton Koopman, 77 ans, n’est plus le jeune loup post-soixante-huitard un peu hippie, qui a rendu plus libre et détendu, avec une belle équipe de complices, le paysage encore austère de la musique baroque de la génération des pionniers, Leonhardt et Harnoncourt en tête. Cela dit, même s’il paraît aujourd’hui assagi, blanchi, plus voûté, avec lui le plaisir de jouer et de réinventer la musique dans l’instant continue à primer sur le dogmatisme et le perfectionnisme. « Si les musiciens ne sont que des professionnels, c’est affreux ! Le rôle d’un chef, ce n’est pas juste de vérifier que tout est ensemble et de contrôler les choses, mais surtout de s’assurer que l’atmosphère est propice. Au concert on doit s’amuser. Have fun ! »
C’est exactement ce que l’on ressent ce soir. L’ambiance, le feeling, sont bons, et pour le reste, détails et autres chipotages, on est priés de passer dessus pour en revenir à l’essentiel : la joie de faire ensemble de la bonne musique. Et ça fonctionne. Pour la Quatrième Suite de Bach l’effectif de cordes, vingt‑trois au total, est le même que pour la symphonie londonienne de Haydn donnée à l’autre bout de la soirée : on ne va quand même pas frustrer une partie de l’équipe quand il y a du Bach à jouer, d’autant plus que ce répertoire est devenu tellement rare au cours d’une saison symphonique ! Alors tant pis si du coup, les instruments modernes aidant, on se retrouve dans une esthétique sonore relativement passéiste. Les textures sont généreuses, les équilibres moyennement satisfaisants (les bois paraissent tricoter bizarrement dans l’Ouverture, faute de pouvoir mieux s’intégrer dans un substrat de cordes qui fait écran), mais la musique avance bien, Koopman préférant soigner ici une attaque, là une inflexion ou un allégement, plutôt que de surligner des intentions de phrasé qui paraîtraient plaquées sur le discours. Cette notion d’hédonisme partagé s’intensifie encore dans le Concerto BWV 1042, grâce au jeu peu ordinaire du violoniste russe Sergei Krylov : un archet léger et pourtant une belle sonorité chaude, qui dédaigne toute rhétorique fabriquée. Au moment du bis, Ton Koopman annonce tout juste, avec un grand sourire, « Bach » et attaque un mouvement supplémentaire, plus richement orchestré (ce qui explique aussi qu’une partie des vents soient restés assis en place pendant le concerto précédent) : la rare Sinfonia en ré majeur (BWV 1045), dont la partie de violon solo, hyper-virtuose, est là encore interprétée par Sergei Krylov sans chichis ni notes inégalement savonnées, mais avec quand même une jolie petite cadence improvisée sur la fin...
Grand tintamarre après l’entracte, avec le « Chaos » (ou « Cahos », si l’on respecte l’orthographe de la partition originale) extrait de la symphonie Les Elémens de Jean‑Féry Rebel. Le début est fameux, avec sur plusieurs mesures une gamme fatidique de ré mineur, dont toutes les notes sont jouées en même temps. Un effet de « cluster » avant la lettre, d’un esprit surtout symbolique (sept notes, mais aussi sept chaos successifs ensuite), évidemment audacieux pour une partition de 1736, mais qui reste un simple effet théâtral d’esprit baroque et non une prémonition de quoi que ce soit. Rétrospectivement on peut certes s’amuser à en souligner l’ampleur, comme le fait Koopman, en faisant sonner vraiment cette introduction comme du Penderecki ou du Xenakis, mais ce n’est là que l’un des aspects parmi d’autres à souligner, au sein d’une pièce à plus d’un égard originale, même quand elle sonne avec moins d’âpreté.
Savoureuse Quatre‑vingt‑dix‑huitième Symphonie de Haydn pour terminer. Là l’« escapade baroque » (c’est le titre du concert sur les affiches) devient plus franchement classique, mais avec quand même partout de délicieuses petites originalités. Koopman est familier de cette symphonie, qu’il programme volontiers quand il est invité à diriger des orchestres internationaux. Les tempi sont vifs, mais la musique respire toujours à l’aise, les rebonds sont agréables, bref une exécution qui tient très bien la route, menée par Koopman d’une gestique surtout incitative, invitation à déguster la musique au fil des pages. Moment de grâce : un Adagio cantabile subtilement chanté. Et aussi une petite particularité dans le Finale : Koopman s’asseoit brièvement devant un clavecin qui jusqu’ici l’attendait sagement devant l’orchestre. L’ajout, noté sur la partition mais parfois omis, dure à peine douze mesures, et il a davantage l’allure d’une petite broderie que d’un solo, la confrontation du clavecin avec un orchestre fourni tournant de toute façon à l’écrasement des cordes pincées. Un pianoforte aurait sans doute mieux fait l’affaire, mais l’effet reste joli.
Laurent Barthel
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