About us / Contact

The Classical Music Network

Baden-Baden

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Angoisse et silence

Baden-Baden
Festspielhaus
02/20/2022 -  
Johannes Brahms : Choralvorspiele, opus 122, n°s 4, 5 et 8 à 11 (transcription Ferruccio Busoni)
Gustav Mahler : Symphonie n° 10 (Adagio) (transcription Ronald Stevenson)
Franz Schubert : Drei Klavierstücke, D.  946
Sergei Prokofiev : Sonate pour piano n° 7 en si bémol majeur, opus 83

Igor Levit (piano)


I. Levit (© Andrea Kremper)


Pas d’Arcadi Volodos à Baden‑Baden pour ce récital, le pianiste russe ayant vraiment du mal à venir jouer au Festspielhaus. Mais cette fois le coronavirus n’y est pour rien, c’est juste la faute du vent, ou plutôt de l’ouragan, qui perturbe tous les transports au nord‑ouest de l’Europe. 48 heures à peine avant le concert, la direction du Festspielhaus annonce un remplaçant de marque, Igor Levit, qui lui, Berlinois d’adoption, peut se déplacer par voie terrestre, en dépit des turbulences atmosphériques.


Changement de soliste mais aussi de programme, Igor Levit profitant de l’aubaine pour imposer un menu qu’en d’autres circonstances il aurait peut-être eu du mal à placer. Mais là, en l’occurrence, c’est à prendre ou à laisser, donc place à une bonne dose d’originalité. La soirée commence par les Préludes de choral, où le vieux Brahms renouait en 1896 avec l’orgue, instrument pour lequel il n’avait plus rien écrit depuis quarante ans, et dans le style raréfié et quintessencié que l’on peut imaginer. Un an plus tard, juste après la mort de Brahms, Ferruccio Busoni transcrivait pour piano six de ces pièces, à titre d’hommage. Igor Levit a déjà enregistré ces Préludes, dans son récital « Encounter » publié en 2020 par Sony, étrange jeu de miroirs autour du silence, de Bach à Morton Feldman. Il y revient ici dans la même logique épurée: un jeu qui met en valeur chaque ligne, mais sans rien d’affecté ni de souligné. Juste une évidence de la musique, écoutée par le public dans un silence religieux.


Davantage de dénuement encore dans l’Adagio de la Dixième Symphonie de Mahler, transcrit par le compositeur et pianiste écossais Ronald Stevenson. L’exposition s’égrène longuement à la main droite sans aucun soutien, une simple ligne. Et même quand le tissu harmonique s’épaissit, on ne trouve plus rien de symphonique là‑dedans, juste une sorte de no man’s land désolé, qui confine à l’abstraction. Une aventure troublante, étirée sur presque une demi‑heure : assurément il faut un public de fins musiciens pour suivre Levit dans une pareille aventure, mais c’est le cas. Personne ne bronche, et tout le monde revient lentement sur terre à la fin du parcours, dans un état de fascination voire d’hébétude, hors du temps. Très étrange sensation !


Quelque chose de profondément instable et troublant aussi dans les trois Klavierstücke D. 946 d’un Schubert ultime. Oscillations entre une simplicité populaire ternaire faussement charmante et des moments où tout bascule. Des pièces où la sobriété paye (Maurizio Pollini y a excellé), mais dont Levit se sert aussi comme d’un moment de détente, au cours d’un récital aux facettes délibérément très différentes.


Percutante Septième Sonate de Prokofiev pour terminer. Là Levit devient réellement impressionnant, de force brute, d’intelligence dans les gradations, voire de subtilité dans les phrasés de l’Andante caloroso médian. En forme de toccata, le Final nous arrache comme il se doit de la position assise : le soliste de son tabouret et le public de ses sièges. Irrésistible ! Et en bis un moment pas moins original que le reste : les deux minutes sarcastiques de l’Humoresque de Rodion Chtchedrine, un peu distendues par Levit, mais avec beaucoup d’humour.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com