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Wozzeck soldat de la Grande guerre Paris Opéra Bastille 03/10/2022 - et 13*, 16, 19, 24, 27, 30 mars 2022 Alban Berg : Wozzeck, opus 7 Johan Reuter (Wozzeck), John Daszak (Tambourmajor), Tansel Akzeybek (Andres), Gerhard Siegel (Hauptmann), Falk Struckmann (Doktor), Mikhail Timoshenko, Tobias Westman (Handwerksburschen), Heinz Göhrig (Der Narr), Eva‑Maria Westbroek (Marie), Marie‑Andrée Bouchard‑Lesieur (Margret), Vincent Morell (Ein Soldat)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Maîtrise des Hauts‑de‑Seine/Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, Ching‑Lien Wu (cheffe des Chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Susanna Mälkki (direction musicale)
William Kentridge (mise en scène), Luc De Wit (co‑mise en scène), Catherine Meyburgh (création vidéo), Sabine Theunissen (décors), Greta Goiris (costumes), Urs Schönebaum (lumières), Kim Gunning (opératrice vidéo)
E.-M. Westbroek, J. Reuter (© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)
Nouvelle production pour Bastille, ce Wozzeck a été présenté à Salzbourg en 2017 et à New York en 2019. On est heureux de le découvrir ou de le retrouver : William Kentridge restitue le tragique blafard de l’opéra de Berg. Parler du décor ne revient pas seulement à évoquer le bric‑à‑brac misérabiliste où il situe l’action : tout ce qui se projette sur le cyclorama, en fond de scène, est essentiel à la vision de l’œuvre, plus qu’une direction d’acteurs somme toute assez classique, sinon minimale. Corps mutilés, cadavres, masques à gaz, immeubles effondrés, le dessinateur et peintre sud‑africain associe l’opéra aux horreurs de la Grande guerre, qui hantent le soldat Wozzeck – comme elles hantaient peut‑être le soldat Berg. Tout n’est ici qu’un bal d’éclopés d’où toute humanité semble avoir disparu – et l’enfant du couple devient une marionnette. On se situe entre Otto Dix et Anselm Kieffer. Destruction d’une psyché, destruction d’un monde se répondent, pour nous dire un double naufrage faisant des « arme Leute » des êtres dévastés. Et l’on ne peut s’empêcher de transposer dans l’horrible aujourd’hui...
La distribution est magnifique, par la qualité et l’homogénéité. Voix somptueuse, par le bronze et le mordant, Johan Reuter incarne vraiment Wozzeck, son désespoir et sa violence de révolté, sa tendresse blessée aussi. Eva‑Maria Westbroek, dont le timbre conjugue l’éclat et la rondeur, campe une Marie très chantée, aux aigus superbes, à la fois sensuelle et résignée, courtisée par le Tambour‑major plastronnant et trompétant de John Daszak. Gerhard Siegel a les aigus de chapon du Capitaine, le vétéran Falk Struckmann peut encore être le Médecin, son compère dans le sadisme. Seconds rôles parfaits, notamment l’Andrès lumineux de Tansel Akzeybek et la Margret de la plus que prometteuse Marie‑Andrée Bouchard‑Lesieur.
A la tête d’un orchestre et de chœurs au sommet, Susanna Mälkki est telle qu’en elle‑même : direction analytique, où toute la partition se donne à lire, jamais sèche pour autant, comme le prouvent les interludes orchestraux, en particulier le dernier. Elle crée, au moment de la mort de Marie, un climat de tendresse diffuse, faisant du crime un acte d’amour. On peut souhaiter davantage d’expressionnisme, mais on s’inclinera devant l’équilibre et la cohérence d’une interprétation qui, tout en privilégiant la fidélité au texte, n’en rend pas moins l’esprit.
Didier van Moere
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