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Une production traditionnelle pour un opéra de chanteurs Milano Teatro alla Scala 03/04/2022 - et 6, 9, 10*, 12, 16, 19 mars 2022 Francesco Cilea : Adriana Lecouvreur Yusif Eyvazov/Freddie De Tommaso* (Maurizio), Alessandro Spina (Il Principe di Bouillon), Carlo Bosi (L’Abate di Chazeuil), Alessandro Corbelli*/Ambrogio Maestri (Michonnet), Francesco Pittari (Poisson), Maria Agresta (Adriana), Anita Rachvelishvili/Judit Kutasi* (La Principessa di Bouillon), Caterina Sala (Madamigella Jouvenot), Svetlina Stoyanova (Madamigella Dangeville), Costantino Finucci (Quinault), Paolo Nevi (Un Maggiordomo)
Coro del Teatro alla Scala, Alberto Malazzi (préparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Giampaolo Bisanti (direction musicale)
David McVicar (mise en scène), Justin Way (reprise de la mise en scène), Charles Edwards (décors), Brigitte Reiffenstuel (costumes), Adam Silverman (lumières), Marco Filibeck (reprise des lumières), Andrew George (chorégraphie), Adam Pudney (reprise de la chorégraphie)
(© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)
Les représentations d’Adriana Lecouvreur programmées actuellement à la Scala doivent donner du fil à retordre à Dominique Meyer, intendant de l’illustre théâtre. Quelques jours avant la première, Anna Netrebko, qui devait partager le rôle-titre avec Maria Agresta, déclarait forfait, sans doute par solidarité avec Valery Gergiev, lequel a été évincé de la production de La Dame de pique, qui se déroule en même temps, pour ne pas avoir répondu au maire de Milan, qui lui demandait de condamner la guerre en Ukraine et de se distancier de Vladimir Poutine. Le soir de la première, Anita Rachvelishvili, interprète de la Princesse de Bouillon, a affiché une méforme évidente et a préféré annuler les autres représentations. En outre, Freddie De Tommaso, le ténor dont tout le monde parle actuellement, a attrapé le covid durant les répétitions et n’a pu assurer qu’une seule soirée. Las, pour ses débuts à la Scala, le chanteur a fait son entrée sur scène en petite forme, la voix terne et le timbre engorgé. Il a été victime d’une chute de tension durant le premier entracte, contraignant Dominique Meyer à demander l’indulgence du public. Le ténor a pu terminer la représentation tant bien que mal et ainsi sauver le spectacle. Reste à espérer qu’il aura rapidement l’occasion de montrer toute l’étendue de son talent à Milan.
De Cilea, on connaît surtout L’Arlésienne et Adriana Lecouvreur, qui est clairement un opéra de chanteurs. C’est donc sur les épaules de Maria Agresta que repose une grande partie du succès de ces représentations milanaises. Après un début un peu précautionneux (malheureusement, l’air le plus célèbre de l’opéra, « Io sono l’umile ancella », arrive très tôt), la soprano s’épanouit pleinement au fur et à mesure de l'avancement de la représentation, avec une voix ample et homogène ainsi que de très jolies nuances et demi‑teintes, pour terminer la soirée sur des accents émouvants et poignants. Globalement, son Adrienne, davantage femme amoureuse que diva, est très bien chantée, mais il lui manque encore la présence et l’intensité qui font la différence, à l’exemple de son monologue de Phèdre (« Giusto cielo ! Che feci in tal giorno ? »), pour lequel on aurait souhaité davantage d’implication dramatique. Il faut dire que l’héroïne a fort à faire face à la Princesse de Bouillon explosive et impérieuse de Judit Kutasi, qui livre une superbe prestation, sans aucun excès ni débordement, comme cela peut être le cas avec ce rôle. Les personnages secondaires sont tous très bien tenus, avec notamment un Prince de Bouillon (Alessandro Spina) et un Abbé de Chazeuil (Carlo Bosi) idéalement distribués.
On ne saurait oublier bien évidemment le Michonnet tellement sympathique et émouvant d’Alessandro Corbelli, dont la voix, à près de 70 ans, n’a rien perdu, ou presque, de ses attraits. Le baryton italien a participé à la création de ce spectacle, à Londres en 2010 (!!), avec Angela Gheorghiu et Jonas Kaufmann dans les rôles principaux. La production, signée David McVicar, a ensuite voyagé un peu partout, de Barcelone à Vienne, en passant par Paris et San Francisco pour finalement arriver à Milan. Le spectacle, des plus classiques et traditionnels, est un régal pour les yeux, avec des costumes splendides et un somptueux décor composé d’un grand théâtre de tréteaux. Dans la fosse, l'Orchestre de la Scala affiche la forme des grands soirs. S’il couvre parfois les chanteurs, avec son exécution vibrante et enflammée, le chef Giampaolo Bisanti sait aussi donner à la partition un tour lyrique et sensuel, car Cilea n’appartient pas véritablement à l’école vériste. Pour ses débuts à la Scala, le maestro a frappé un grand coup.
Claudio Poloni
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