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L’opéra du Roi-Soleil Geneva Grand Théâtre 02/27/2022 - et 1er*, 3, 6, 8, 10 mars 2022 Jean-Baptiste Lully : Atys Matthew Newlin (Atys), Giuseppina Bridelli (Cybèle), Ana Quintans (Sangaride), Andreas Wolf (Célénus, Le Temps), Michael Mofidian (Idas, Phobétor, Un songe funeste), Gwendoline Blondeel (Doris, Iris, Flore, Divinité fontaine 2), Lore Binon (Mélisse, Divinité fontaine 1), Nicholas Scott (Le sommeil), Valerio Contaldo (Morphée, Dieu de Fleuve), Luigi De Donato (Le fleuve Sangar), José Pazos (Phantase)
Ballet du Grand Théâtre de Genève, Chœur du Grand Théâtre de Genève, Alan Woodbridge (préparation), Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón (direction musicale)
Angelin Preljocaj (mise en scène, chorégraphie), Prune Nourry (décors), Jeanne Vicérial (costumes), Eric Soyer (lumières)
(© Gregory Batardon)
On dit que c’était l’opéra préféré de Louis XIV. Le Roi‑Soleil aimait tellement l’ouvrage qu’il se plaisait à en fredonner les airs pendant ses promenades. Atys de Jean‑Baptiste Lully est le premier exemple de tragédie lyrique à la française. Fini le happy end si cher à l’opéra italien de l’époque. Ici, les deux protagonistes vont trouver la mort. Sur une structure classique en cinq actes, le librettiste Philippe Quinault raconte une histoire d’amour qui finit mal, tirée des Fastes d’Ovide : Atys, prêtre de la déesse Cybèle, aime Sangaride, laquelle doit épouser Célénus, roi de Phrygie. Mais Cybèle aime aussi Atys ; elle va utiliser ses pouvoirs de divinité pour contraindre Atys à tuer Sangaride. Lorsqu’Atys se rend compte de ce qu’il a fait, il se donne la mort et Cybèle le transforme en arbre. A sa création en 1676, au château de Saint‑Germain‑en‑Laye, Atys connaît un immense succès, qui ne se démentira pas pendant plusieurs années, avant de tomber dans l’oubli. L’ouvrage sera exhumé en décembre 1986 puis en 1987 à l’occasion du tricentenaire de la mort de Lully. La production, avec William Christie à la tête des Arts florissants et Jean-Marie Villégier à la mise en scène, constitue un jalon important dans la redécouverte du répertoire baroque français ; elle sera reprise en 2011, toujours sous la houlette de William Christie et de Jean‑Marie Villégier, à la demande d’un mécène américain.
Onze ans plus tard, Atys vient de faire une entrée fracassante au Grand Théâtre de Genève, dans une production qui ne va certainement pas manquer de devenir aussi une référence. Cette fois, les artisans du spectacle sont Leonardo García Alarcón pour la partie musicale et Angelin Preljocaj pour la partie visuelle. A la tête de sa Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón n’a eu de cesse durant toute la soirée de couver d’un regard complice et attentif les chanteurs, mais aussi les musiciens ; ces derniers ont démontré une assurance et une virtuosité qui en disent long sur leur affinité avec ce répertoire. Le chef argentin a offert une interprétation raffinée, mais aussi dynamique et particulièrement contrastée de la partition de Lully, toujours soucieux de la tension dramatique, si bien qu’on ne s’est pas ennuyé une seule seconde pendant les plus de trois heures de musique (le prologue et quelques pièces dansées ont été supprimés). Pour sa première mise en scène lyrique, le chorégraphe Angelin Preljocaj a réussi un coup de maître : il a réalisé un spectacle parfaitement fluide, dans lequel chant et danse ne se succèdent pas alternativement mais sont constamment liés et imbriqués, et c’est bien là la grande force de la production. Le chorégraphe a pu compter sur une équipe de chanteurs disposés non seulement à bouger sur scène mais aussi à danser. Il a également fait intervenir le ballet du Grand Théâtre, superbe de précision et d’élégance, dont les danseurs doublent les chanteurs. Ce qui est véritablement fascinant, c’est qu’on finit par ne plus savoir vraiment qui, des danseurs ou des chanteurs, imitent les mouvements de qui. Le chant est parfaitement intégré à la danse et vice-versa, dans une gestuelle sobre mais très évocatrice. L’action se déroule sur un plateau nu, devant des murs d’énormes pierres disposés les uns derrière les autres, conçus par la plasticienne et sculptrice Prune Nourry, qui fait elle aussi pour l’occasion ses débuts à l’opéra. Les murs finissent par se lézarder et laisser apparaître de grosses failles noires. Pour la dernière scène, ils font place à des cordes qui s’entremêlent pour esquisser un arbre géant, sur lequel mourra Atys, arbre qui a la forme d’un squelette humain. Les costumes de Jeanne Vicérial (une autre novice lyrique !), superbes dans leur simplicité et jouant sur l’opposition entre le noir et le blanc, rappelant de surcroît vaguement le Japon, sont aussi pour beaucoup dans la réussite de la soirée.
La distribution vocale est d’un très haut niveau et parfaitement homogène. Et surtout, le français de tous est totalement compréhensible et naturel, rendant inutile le surtitrage. L’Atys de Matthew Newlin, confondant d’aisance scénique, séduit par son timbre généreux et limpide. La Sangaride d’Ana Quintans émeut par ses lamentations éplorées. Giuseppina Bridelli incarne une Cybèle fière et altière, à la ligne de chant envoûtante. Les rôles secondaires sont tout aussi brillants, avec notamment le Célénus solide d’Andreas Wolf, l’Idas aux graves percutants de Michael Mofidian et la Mélisse au chant délicat de Lore Binon. Une mention spéciale est à décerner au Chœur du Grand Théâtre. On signalera qu’avant le début du spectacle, Leonardo García Alarcón s’est adressé brièvement au public pour dédier les représentations d’Atys au peuple ukrainien et a fait jouer un arrangement baroque de l’hymne de l’Ukraine. L’émotion a parcouru les rangs du Grand Théâtre.
Claudio Poloni
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