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Parfait mais frustrant Lille Opéra 02/19/2022 - et 20*, 23 février 2022 Maurice Ravel : L’Enfant et les Sortilèges Catherine Trottmann (L’Enfant), Olivia Doray (La Bergère, La Chouette, La Chauve-souris, Une Pastourelle), Caroline Jestaedt (Le Feu, La Princesse, Le Rossignol), Ambroisine Bré (Maman, La Tasse, La Libellule), Marie Kalinine (Un Pâtre, La Chatte, L’Ecureuil), Raphaël Brémard (La Théière, Le Petit Vieillard, La Reinette), Philippe-Nicolas Martin (L’Horloge, Le Chat), Thibault de Damas (Le Fauteuil, L’Arbre)
Chœur de l’Opéra de Lille, Yves Parmentier (chef de chœur), Les Siècles, Corinna Niemeyer (direction musicale)
Grégoire Pont (concept, vidéo), James Bonas (mise en scène), Thibault Vancraenenbroeck (décor, costumes), Christophe Chaupin (lumières)
(© Jean-Pierre Maurin)
L’Opéra de Lille propose à son tour trois représentations, ainsi que deux pour les écoles, de cet Enfant et les Sortilèges (1925) imaginé par Grégoire Pont et James Bonas. Cette production créée à l’Opéra de Lyon il y a quelques années prouve que l’utilisation astucieuse de la vidéo peut conduire à de réjouissants résultats.
La mise en scène et la conception vidéo font tout le prix de ce spectacle dans lequel chaque instant constitue un véritable régal. Dans ce dispositif, l’orchestre se place sur la scène, séparé par un écran de tulle semi‑transparent sur lequel surgissent des dessins d’animation. Les effets spéciaux apparaissent et disparaissent ainsi comme par magie, en interagissant merveilleusement avec les chanteurs, avec même, vers la fin, des projections dans la salle, comme pour une expérience immersive. Il est hors de question dans un ouvrage aussi court de concéder le moindre temps mort ou d’ennuyer le spectateur avec des passages inaboutis ou banals. Rien de tel : en un peu moins d’une heure, les excellentes idées graphiques se succèdent avec le plaisir gourmand de découvrir la suite. Le concept paraît simple en apparence, mais il se révèle d’une grande subtilité et certainement complexe à mettre en œuvre. La représentation se déroule dans un rythme idéal, et les solistes chargés des autres rôles que celui de l’Enfant, habillés en gris foncé et en noir, se fondent harmonieusement dans les projections. Cette mise en scène se rapproche par son principe et sa perfection de celle que Barrie Kosky a imaginée pour La Flûte enchantée, applaudie depuis sa création un peu partout dans le monde.
L’orchestre Les Siècles, dirigé par Corinna Niemeyer, délivre une prestation transparente et colorée, avec un travail vraiment superbe sur les sonorités. La distribution contribue à l’impression de naturel de ce spectacle. Tous les chanteurs soignent la diction, ce qui rend les sous‑titres superflus, et se hissent à la hauteur d’une partition plus exigeante pour les voix qu’elle n’en a l’air. Catherine Trottmann se révèle ainsi crédible dans le rôle de l’Enfant, mais il faut également saluer la maîtrise constante et le timbre approprié de tout un chacun, le plateau séduisant par son homogénéité et son haut niveau – mentionnons également les interventions bien préparées du Chœur de l’Opéra de Lille, pas moins précis que les solistes dans ce fin mécanisme d’horlogerie. Le même concept pourrait s’appliquer à un autre ouvrage problématique à mettre en scène, La Petite Renarde rusée. La réussite de cette production laisse imaginer ce que ses concepteurs et l’équipe technique réaliseraient dans l’opéra animalier de Janácek. Ce spectacle se révèle donc bien calibré pour les jeunes, mais leurs parents, et évidemment les adultes sans enfant, peuvent en apprécier toute la prouesse technique, la finesse et l’originalité.
Cependant, la brièveté de la représentation nous contrarie, alors que Grégoire Pont et James Bonas ont également conçu une Heure espagnole calquée sur le même principe. Nous aurions aimé voir les deux l’un après l’autre, malgré les sous‑entendus érotiques du premier opéra de Ravel, qui aurait sans doute moins convenu aux très jeunes spectateurs, venus relativement nombreux ce dimanche.
Sébastien Foucart
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