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Irremplaçable Thomas Hampson Strasbourg Palais de la Musique 01/21/2022 - et 20 janvier 2022 (Lyon) Richard Wagner : Parsifal : Prélude
Johannes Brahms/Detlev Glanert : Vier Präludien und Ernste Gesänge
Antonín Dvorák : Symphonie n° 7 en ré mineur, opus 70, B. 141 Thomas Hampson (baryton)
Orchestre national de Lyon, Nikolaj Szeps-Znaider (direction) N. Szeps‑Znaider, T. Hampson (© Grégory Massat)
La confrontation avec la large carrure de Nikolaj Znaider vu de dos, en tant que chef d’orchestre, et non plus de face, nanti de son habituel Guarneri del Gesù, est surprenante de prime abord, pour qui a pu assister antérieurement à de nombreux concerts du violoniste israélo‑danois. Cela dit, de toute façon Nikolaj Znaider, devenu entre‑temps Nikolaj Szeps‑Znaider, n’en renonce pas pour autant à son instrument, et le coup de foudre de l’Orchestre national de Lyon pour son nouveau directeur musical, officiellement en fonction depuis septembre 2020, paraît pleinement justifié. Ce soir on découvre un chef dont la présence stable et rassurante contribue certainement à sécuriser les musiciens: beaucoup de lisibilité, une battue sobre et nette, un corps qui bouge relativement peu... Effectivement un meneur de jeu sur lequel on peut compter.
Même impression favorable pour l’Orchestre national de Lyon, invité au Palais de la Musique par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, très occupé par les représentations des Oiseaux de Braunfels à l’Opéra national du Rhin. La phalange lyonnaise peut compter notamment sur des cuivres à toute épreuve (dont des cors d’une agréable égalité d’intonation, l’excellent solo du jeune Gabriel Dambricourt en tête). A l’issue du concert nous manque pourtant quelque chose, comme si l’orchestre ne parvenait pas à faire valoir une véritable personnalité, avec des masses instrumentales trop compactes et une tendance générale à jouer fort. Faut‑il voir là l’influence des dimensions exceptionnelles de l’auditorium lyonnais où les musiciens se produisent d’habitude ?
Dans l’excellente acoustique strasbourgeoise, qui renvoie le son de façon très précise et détaillée, ces effet de plénitude confinent souvent à la surcharge. Surtout dans une Septième Symphonie de Dvorák où Nikolaj Szeps‑Znaider ne lésine pas sur les quantités, tutti surchargés de cuivres qui seraient peut‑être davantage appropriés chez Bruckner. Les mouvements s’enchaînent confortablement mais ces permanents déséquilibres, au détriment de la finesse de la trame, voire tout simplement de la musicalité individuelle de chaque pupitre, confinent au hors‑sujet : déjà du post‑romantisme monumental là où on attend plutôt du terroir tchèque, voire au moins une mélancolie plus subtilement exprimée. Même impression de dynamique trop large et d’alliages insuffisamment diaphanes dans le Prélude de Parsifal qui ouvre le concert : des cuivres d’une remarquable stabilité, des cordes irréprochables, mais l’ensemble sonne compact, sans vraiment susciter cette impression de « couleur orchestrale qui semble éclairée par derrière » relevée par Debussy. L’auteur de Jeux écrit aussi dans sa correspondance qu’« il faudrait trouver un orchestre “sans pied” » pour jouer certaines musiques. Or ici l’assise, ou, si l’on veut, les pieds, restent trop immuablement perceptibles.
On connaît essentiellement les Quatre Chants sérieux de Brahms dans leur version originale pour chant et piano, et surtout au disque, car ils sont rares au concert : quelques interprétations légendaires dont l’écoute ne laisse jamais indemne, tant le potentiel d’émotion de ces instants de méditation sur la mort peut s’avérer ravageur – Hans Hotter, Kathleen Ferrier, ou, plus récemment, Matthias Goerne accompagné par Christoph Eschenbach... Mais ce n’est certainement pas à l’aune de ce romantisme intime et décanté qu’il faut juger d’une transposition à l’orchestre. Là le cadre s’élargit, la voix doit se projeter par‑dessus une masse instrumentale beaucoup plus riche en couleurs : on passe à une autre dimension, mais l’aventure est séduisante. Brahms lui‑même l’aurait‑il tentée ? Décédé un an après ce travail testamentaire, il n’en a de toute façon pas eu le temps. En 1933, le compositeur allemand Günter Raphael s’y est risqué : une très belle partition, aux couleurs instrumentales estompées et sombres, qui accentue forcément les contrastes mais ne dénature rien. Or ici Thomas Hampson et Nikolaj Szeps‑Znaider proposent bien autre chose : Quatre Préludes et Chants sérieux de Detlev Glanert. Mentionner l’intégralité du titre (ce que malheureusement le programme de salle ne fait que marginalement) est important, car un tel projet, créé en 2005 par Dietrich Henschel et Kent Nagano, relève bien davantage d’une remise en perspective post‑moderne relativement intrusive que d’une simple orchestration. Certes le texte chanté est laissé intact, mais les alliages instrumentaux de Detlev Glanert, au demeurant orchestrateur particulièrement doué et original, interagissent avec la voix au plus près, en allant jusqu’à en modifier le timbre par de subtils effets d’éclairage. C’est très beau, mais toute tentative de comparaison avec l’original brahmsien devient dès lors peu pertinente. Mieux vaut se laisser entraîner, voire fasciner, tant par les Lieder eux‑mêmes que par la subtilité des intermèdes orchestraux qui les relient : là du pur Glanert, et du meilleur. Lecture orchestrale irréprochable de Nikolaj Szeps‑Znaider, très attentif aux équilibres mais tout en essayant de ne pas perdre de vue une expressivité intrinsèquement romantique. Et puis aussi le bonheur de retrouver Thomas Hampson dans une remarquable forme vocale. Le timbre s’est à peine terni dans le médium, mais sinon, la fermeté de la projection, la précision de la finition technique (une gestion du souffle qui demeure exemplaire) restent au sommet, au service d’une interprétation bouleversante.
Laurent Barthel
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