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Au septième dessous Strasbourg Palais de la Musique 02/03/2022 - Jörg Widmann : Con brio
Philippe Hurel : Quelques traces dans l’air
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 7 en la majeur, opus 92 Jérôme Comte (clarinette)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Aziz Shokhakimov (direction) A. Shokhakimov (© Nicolas Rozès)
Il y a un mois encore, ce concert promettait d’associer Lontano de Ligeti, la création française du Concerto pour clarinette de la compositrice coréenne Unsuk Chin, et l’orchestration du Premier Quatuor avec piano de Brahms par Arnold Schoenberg. Un parcours à travers l’histoire de notre musique dite « contemporaine », structuré par un intéressant maillage d’influences et de filiations...
Et puis, sur la dernière ligne droite, l’intégralité du programme a changé, alors que ce sont pourtant bien les interprètes annoncés qui sont présents le soir du concert. Certes les temps sont difficiles, et mieux vaut un concert « analogue » que pas de concert du tout. Cela dit, en amont, un peu plus d’explications circonstanciées officielles sur le pourquoi du comment d’un changement de programme aussi radical ne nuiraient pas...
Au demeurant, l’itinéraire de substitution n’est pas sans cohérence. L’Ouverture de concert Con brio a été commandée au clarinettiste et compositeur Jörg Widmann par Mariss Jansons, qui souhaitait mettre en perspective le cycle de symphonies de Beethoven de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise avec de brèves partitions contemporaines. Aucune des autres œuvres ainsi créées à Munich, de 2008 à 2012, que ce soit l’Intermezzo Nirai de Misato Mochizuki, l’Ouverture de concert Beethovens Heiligenstädter Testament de Rodion Chtchedrine, Fires de Raminta Serksnytė, Dixi de Giya Kancheli, Manai de Johannes Maria Staud, n’ont remporté ensuite le succès exceptionnel de Con brio, la partition la plus célèbre de Jörg Widmann, exécutée en concert déjà plus de trois cents fois à ce jour, parce que sa fonction de pendant contemporain à l’un des ouvrages les plus joués du répertoire, la Septième Symphonie de Beethoven, s’avère providentielle, mais pas seulement. Car ce qui pourrait n’être qu’un pastiche s’avère une création très personnelle, mise en scène efficace de nombreux gestes beethovéniens subtilement diffractés : une œuvre réputée d’exécution complexe, avec laquelle on a pu faire connaissance au disque sous la direction de Mariss Jansons (BR Classics), puis de Jörg Widmann (Alpha Classics). Jansons est celui des deux qui la restitue avec l’élan le plus convaincant, grâce à son instinct de grand beethovénien, quitte à négliger certains détails au détriment d’une grande ligne. Ce soir, sous la baguette impulsive d’Aziz Shokhakimov, c’est en revanche l’impression de morcellement qui prédomine, mais les événements instrumentaux, envisagés isolément, restent intéressants.
Jérôme Comte, soliste de l’Ensemble intercontemporain, a quant à lui apporté dans ses bagages, à défaut du plus direct et spectaculaire Concerto d’Unsuk Chin, l’évanescent Quelques traces dans l’air de Philippe Hurel, qu’il a créé en 2018. Une musique d’obédience spectrale que le clarinettiste français défend avec une remarquable chaleur de timbre. De multiples effets d’écho, de relance, d’ombres portées, entre le soliste et l’orchestre avec lequel il interagit, mais aussi une partition qui ne laisse guère de sillage en mémoire, au delà de quelques idées fortes diluées dans un continuum de 22 minutes quelque peu longuet.
Le vrai Beethoven pour terminer, en substance et non plus fantomatique, avec l’une de ses symphonies les plus exigeantes, la Septième. Aziz Shokhakimov y laisse une première impression favorable : introduction lente majestueusement posée, suivie d’un Vivace de bon aloi, un peu négligé aux entournures, mais qui peut passer en force. Tempo vif pour l’Allegretto ensuite, ce qui reste une option défendable, sous réserve de parvenir ensuite à construire une progression, un cheminement. Mais au lieu de prendre de l’ampleur, le mouvement ne fait qu’accumuler laborieusement des strates sans hiérarchie, et au bout de quelques minutes, la vacuité du propos inquiète, malaise qui s’accentue dans le Presto qui suit, déglingué, segmenté en épisodes brouillons où plus rien n’est correctement dosé : départs cafouilleux, petite harmonie en déroute, démantibulée, qui laisse en pleine lumière dans la partie médiane les glapissements de deux cors esseulés, timbalier dont les interventions ne sont plus intégrées dans le flux et font sursauter... N’en jetez plus ? Si, car le pire reste à venir : un Allegro con brio où Aziz Shokhakimov parachève la catastrophe en fonçant à tombeau ouvert. La tendance est certes fréquente en ce moment, Chailly, Rattle, Petrenko ayant eux aussi la tentation de pousser plus loin que leurs prédécesseurs le curseur du « con brio », mais là Shokhakimov exige une frénésie tellement absurde que tout le monde se raccroche aux branches et à la fin, hormis cordes aiguës et cuivres, plus personne n’est ensemble, avec juste une sorte de remugle grave indistinct en guise de soubassement. Dès lors une seule question nous taraude à l’issue d’une telle pagaille : à quoi bon ?
Quelques souvenirs pour terminer : ceux, ineffaçables, d’une flamboyante Septième dans cette même salle, le 6 février 2014, par Marko Letonja et l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Des souvenirs partagés avec mon collègue Christian Merlin, qui a pu vivre quelques jours plus tard le même événement à Vienne, dans la grande salle du Musikverein, et écrivait dans les colonnes du Figaro : « Jouer la Septième de Beethoven à Vienne là où on l’a créée, c’est un peu comme si le Bolchoï donnait Carmen à Paris ! Autrement dit se jeter dans la gueule du loup. Car à Vienne on ne la leur refait pas. On n’en est que plus fier de la tenue de l’exécution de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, non seulement en termes de style, mais aussi de cohésion, d’énergie, de qualité sonore. »
« L’Orchestre philharmonique de Strasbourg au septième ciel », titrait cet article, en direct de Vienne. C’était il y a huit ans seulement.
Laurent Barthel
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