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Un Otello et demi

Liège
Opéra royal de Wallonie
12/19/2021 -  et 21, 23, 26, 28, 31 décembre 2021 (Liège), 6 janvier 2022 (Charleroi)
Gioachino Rossini : Otello ossia il moro di Venezia
Sergey Romanovsky, Anton Rositskiy (Otello), Salome Jicia (Desdemona), Maxim Mironov (Rodrigo), Giulio Pelligra (Iago), Pierre Derhet (Lucio, Gondoliere), Julie Bailly (Emilia), Luca Dall’amico (Elmiro), Xavier Petithan (Il doge)
Chœurs de l’Opéra royal de Wallonie, Denis Segond (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie, Maurizio Benini (direction)
Emilio Sagi (mise en scène), Daniel Bianco (décors), Gabriela Salaverri (costumes), Eduardo Bravo (lumières)


(© Opéra Royal de Wallonie-Liège/Jonathan Berger)


Depuis de nombreuses années, l’Opéra royal de Wallonie accorde une place importante à l’opéra italien dans sa programmation, mais il est loin d’en avoir fait le tour : l’Otello (1816) de Rossini manquait à son palmarès.


La première, ce dimanche, se passe malheureusement dans des conditions peu optimales. Annoncé souffrant, Sergey Romanovsky tenait à assurer la représentation, mais la voix trahit d’emblée de grandes difficultés, et il paraît vite évident que le ténor va devoir renoncer au rôle-titre. Timbre grisâtre, voix engorgée, phrasé grossier, le ténor se trouve dans une situation très inconfortable. Finalement, Anton Rositskiy vient chanter en bord de scène, à l’aide de la partition, tandis que Romanovsky mime le rôle, tant bien que mal – plutôt mal, en réalité, car demeurer convaincant dans ces circonstances relève, il faut le reconnaître, de la mission impossible. Un tel procédé compromet non seulement la crédibilité du personnage, mais aussi la dynamique de groupe, car l’attention se concentre sur Rositskiy, placé côté jardin. Le ténor fait preuve d’un admirable professionnalisme : à la beauté du timbre et à la justesse de la caractérisation s’ajoutent la clarté de l’émission et la netteté du phrasé, en autres vertus dont la puissance et le souffle n’en constituent pas les moindres. Voilà assurément un chanteur que l’Opéra royal de Wallonie devrait à nouveau inviter lors d’une prochaine saison, et pas en tant que doublure.


Aucune crainte pour les autres chanteurs. Salome Jicia incarne avec naturel et aisance le rôle de Desdemona auquel elle apporte sa sensibilité, non sans une certaine froideur, ainsi que la solidité de sa technique. Le timbre se distingue par sa beauté, la ligne vocale par sa fermeté, les notes hautes par leur pureté. Maxim Mironov, un des ténors rossiniens les plus en vue, apporte brillamment la confirmation de son talent dans le rôle de Rodrigo : une interprétation de classe internationale, avec d’impressionnantes montées dans l’aigu, un timbre superbe, de la finesse, également. Giulio Pelligra a le physique de l’emploi pour le traître Iago, mais ce chanteur probe et de qualité, disposant de tous les atouts pour ce personnage moins développé que dans l’opéra de Verdi, n’impressionne pas autant que Rositskiy et Mironov. Les autres rôles sont bien tenus. Julie Bailly, une valeur sûre à Liège, affiche beaucoup de délicatesse et de tenue vocale en Emilia, tandis que Luca Dall’Amico incarne Elmiro avec toute la prestance patricienne requise – bonnes prestations, aussi, de Pierre Derhet et Xavier Petithan. En fin de compte, il s’agit d’une solide distribution, malgré l’incapacité de Sergey Romanovsky à assumer sa partie vocale : les ensembles fonctionnent bien, les voix s’entremêlent naturellement et les trois ténors possèdent des timbres suffisamment différenciés.


Dans la fosse officie une véritable pointure, pour la première fois à l’Opéra royal de Wallonie : Maurizio Benini, authentique chef d’opéra spécialisé dans le répertoire italien, dédie cet Otello à un confrère disparu cet été, Gianluigi Gelmetti, qui aurait dû diriger cette production. A la tête d’un orchestre précis et vigoureux, le chef veille à maintenir un équilibre parfait avec les chanteurs. Dans cette exécution soignée, les tempi paraissent naturels, jamais excessivement rapides, ce qui garantit clarté et finesse, tandis que le contrôle des contrastes de dynamique ne souffre d’aucun reproche. Vivement que la pandémie devienne un mauvais et lointain souvenir, afin que les choristes puissent à nouveau chanter sans masque.


Emilio Sagi ne compte pas parmi les rénovateurs du théâtre lyrique. Peu exaltante, la mise en scène témoigne d’un conservatisme prudent, mais elle ne présente rien d’indigne. L’histoire se déroule très lisiblement, selon le schéma habituel, dans un palais néoclassique au lendemain de la Première Guerre mondiale, un décor esthétique, assez bien éclairé, mais unique, ce qui n’entre pas dans les habitudes de l’Opéra royal de Wallonie dont de nombreuses productions arborent de fastueuses scénographies à plusieurs tableaux. La direction d’acteurs, convenable, mais de pure convention, respecte l’intégrité des chanteurs. Nous retrouvons assez peu la dimension critique et dénonciatrice que le metteur en scène souhaite dégager de cet opéra. Cependant le destin tragique de Desdemona trouve un écho actuel dans les nombreux cas de féminicides rapportés dans la presse, un rapprochement facilité par l’approche de Sagi, centrée sur cette figure. Le spectacle comporte quelques belles idées de mise en scène, par exemple lorsque Desdemona place dans un salon au mobilier recouvert de housses de protection des photographies en noir et blanc d’Otello, mais elles demeurent trop rares. Cette sage et assez pertinente proposition vaut de toute façon mieux qu’une version de concert terne et figée.


En cette période anxiogène, le public aurait probablement voulu à la place un spectacle autrement plus festif. A condition de compter parmi les chanceux spectateurs dont la place est confirmée, à cause de l’absurde décision gouvernementale de limiter à deux cents le nombre de personnes admises pour tout événement à l’intérieur pour les raisons sanitaires bien connues.



Sébastien Foucart

 

 

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