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Un génial huis clos kubrickien

Versailles
Opéra royal
12/11/2021 -  et 3, 5, 6 octobre (Nancy), 12* décembre (Versailles) 2021
Luigi Rossi : Il palazzo incantato
Victor Sicard (Orlando), Arianna Vendittelli (Angelica), Fabio Trümpy (Ruggiero), Deanna Breiwick (Bradamante, La Peinture), Mark Milhofer (Atlante), Lucía Martín-Cartón (Olympia, La Musique, Echo), Mariana Flores (Marfisa, La Magie, Doralice), Grigory Soloviov (Gigante, Sacripante, Gradasso), Kacper Szelązek (Prasildo, Le Nain), André Lacerda (Alceste), Valerio Contaldo (Ferrau, Astolfo), Gwendoline Blondeel (Fiordiligi, La Poésie), Alexander Miminoshvili (Mandricardo), Joy Alpuerto Ritter, Zora Snake (danseurs)
Chœur de l’Opéra de Dijon, Chœur de chambre de Namur, Anass Ismat (chef de chœur), Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón (direction musicale)
Fabrice Murgia (mise en scène), Vincent Lemaire (décors), Clara Peluffo Valentini (costumes), Emily Brassier, Giacinto Caponio (éclairages), Giacinto Caponio (vidéo)


(© Gilles Abegg/Opéra de Dijon)


On doit à Leonardo García Alarcón, à l’occasion de ses recherches au Vatican, la redécouverte du Palais enchanté ou Palais des sortilèges (1642), tout premier opéra de Luigi Rossi (1597-1653), dont on a déjà pu entendre le deuxième et dernier ouvrage lyrique, Orfeo, monté notamment à Nancy en 2016 et Versailles en 2017. Victime de la pandémie, la présente production a d’abord été montée à Dijon à huis clos en décembre 2020, avant d’être diffusée en ligne à l’attention des plus curieux. On ne peut que se réjouir de la découvrir sur scène dans le cadre idéal de l’Opéra royal de Versailles, tant le travail réalisé par le metteur en scène belge Fabrice Murgia impressionne de bout en bout par sa force d’évocation et son à-propos, et ce d’autant plus que le livret très littéraire (adapté du Roland furieux de l’Arioste) ne lui a guère facilité la tâche.


Le Palais des sortilèges fut en effet l’un des spectacles de cour les plus fastueux montés à Rome, peu de temps avant l’interdiction papale à l’encontre des opéras – ce qui explique pourquoi Rossi s’est surtout illustré, tout au long de sa carrière, dans la composition de plus de trois cents cantates. D’une durée de sept heures, le spectacle initial comportait un luxe inouï de machinerie, ballets, sans parler des chœurs et orchestration opulents, dont Leonardo García Alarcón (avec un spectacle de « seulement » trois heures quarante-cinq, entracte compris) s’est attaché à garder l’esprit coloré et volontiers spectaculaire dans les parties cuivrées et percussives. Pour autant, le style de Rossi se rattache davantage au théâtre musical déclamatoire (nombreux ariosos) proche de Lully, sans ornementations virtuoses, ni passages burlesques dans le style de Cavalli – hormis les parties dévolues au Nain. L’imagination de Rossi impressionne tout du long par sa fluidité naturelle, en un art volontiers miniaturiste dans les joutes vocales, mais toujours très expressif. Dans cette optique, le rare recours à des airs plus longs donne un relief particulier aux interprètes qui en bénéficient, notamment l’Atlante tout de noblesse de Mark Milhofer et l’Angelica d’Arianna Vendittelli, très émouvante à la fin du deuxième acte. De même, Rossi fait un usage modéré des passages brillants confiés à l’orchestre seul ou aux chœurs, qui n’en ressortent que davantage (notamment les parties guerrières ou la chute d’Atlante), toujours au service de l’action théâtrale.


Autour de cette musique admirable de variété et de raffinement, portée par la précision d’orfèvre de Leonardo García Alarcón, la réussite de la soirée vient de la mise en scène en tout point réussie de Fabrice Murgia, qui fait là des débuts fracassants en France. L’actuel directeur du Théâtre national de la Communauté française (anciennement Théâtre national de Belgique) choisit d’évacuer la place du merveilleux et du contexte guerrier pour transposer l’action dans une perspective contemporaine. D’emblée, la scène seulement emplie des rampes d’éclairage cherche à donner conscience des artifices du théâtre : c’est là le lieu du réel, auquel auront à nouveau accès les protagonistes une fois achevé leur parcours initiatique dans le palais des sortilèges d’Atlante, à la toute fin de l’opéra. La scénographie, aussi astucieuse que parfaitement réglée, donne un sentiment d’étourdissement, tant ces trois petits plateaux tournants permettent de renouveler le décor rapidement, sans qu’on y prenne garde, en autant de saynètes fugitives. Manifestement inspiré par Stanley Kubrick, Murgia enferme tout son petit monde en un huis clos étouffant, où les nombreuses portes labyrinthiques évoquent les nombreux possibles auxquels les aspirants amoureux sont confrontés : les pièges de la facilité, incarnés par la prostitution, les drogues lors des soirées, etc. sont montrés autour d’images fortes, mais jamais gratuites.


La réalisation visuelle, d’une maîtrise digne des plus grands, joue sur l’exploration des volumes et des possibilités du décor, soutenue par la vidéo et des éclairages d’une inventivité exceptionnelle. Après l’entracte, les illusions prennent une forme plus éclatée et diffuse, tandis que la victoire contre Atlante représente une sorte de rite de passage vers le monde adulte : désormais aguerris, les jeunes gens sont désormais aptes à affronter les dangers extérieurs à leur cocon familial. A cet effet, on ne peut que saluer l’idée de renforcer la présence des danseurs (superbes Joy Alpuerto Ritter et Zora Snake), dont les rythmes saccadés constituent des moments d’une intensité hypnotique. A leurs côtés, le plateau vocal réuni n’appelle que des éloges, ce qui n’est pas une mince performance compte tenu de l’importance des forces en présence. De cette ivresse sonore sans temps mort se détachent le sensible et aérien contre-ténor Kacper Szelązek (Prasildo, Le Nain), ainsi que la technique sans faille et les phrasés d’une hauteur de vues superlative d’Alexander Miminoshvili (Mandricardo), grande révélation de la soirée.


Après le délicieux et irrésistible Richard Cœur de Lion de Grétry, repris le mois dernier (voir le compte rendu du disque/DVD), l’Opéra de Versailles nous gratifie d’une nouvelle éclatante réussite, à la hauteur de ses ambitions. On ne manquera pas d’y retrouver, en mars prochain, les équipes de Leonardo García Alarcón pour porter haut les couleurs du plus parfait chef-d’œuvre de Lully, Atys (1676), dans la mise en scène et la chorégraphie d’Angelin Prejlocaj. Il reste encore des places : profitez-en pour réserver au plus vite !



Florent Coudeyrat

 

 

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