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KM, grand couturier

Paris
Philharmonie
11/17/2021 -  et 18 novembre 2021
Felix Mendelssohn : Die Hebriden, opus26
Henri Dutilleux : Tout un monde lointain…
Richard Strauss : Eine Alpensinfonie, opus 64

Jean-Guihen Queyras (violoncelle)
Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä (direction)


K. Mäkelä (© Mathias Benguigui)


Les Hébrides de Mendelssohn, Tout un monde lointain... de Dutilleux, et la Symphonie alpestre de Strauss : le programme de ce soir nous emmène d’Ossian à Nietzsche en passant par Baudelaire, c’est à dire du romantisme à ses dernières exaltations. Archipel écossais, Fleurs du mal, Alpes bavaroises... Les compositeurs ont choisi de nommer leurs sources d’inspiration pour mieux unir musique et poésie, c’est l’esprit du poème symphonique théorisé par Liszt à Weimar en 1848. Musicalement, les styles divergent cependant : romantisme classique chez Mendelssohn, atonalisme énigmatique pour Dutilleux, luxuriance postwagnérienne chez Strauss. Voyons comment le tout nouveau et très jeune directeur musical de l’Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä, « prodige » finlandais selon le magazine Cadences (offert à l’entrée de la ruche philharmonique), va conduire ce programme de belle musique à programme.


Avant d’avoir entendu la moindre note de musique, sans queue de pie mais élégance princière, Mäkelä donne envie d’être aimé : costume slim fit noir, cheveux mi-longs, beau visage allongé, la ressemblance avec Yves Saint-Laurent jeune est frappante, avec en prime sa modeste et vibrante timidité. Osons le parallèle : à 25 ans, le couturier français lance sa maison de couture ; à 24, Mäkelä est nommé directeur musical de l’Orchestre de Paris après le Philharmonique d’Oslo. Saint-Laurent démocratise le prêt-à-porter ; Mäkelä dépoussière l’image du chef : égalitariste, pas commandeur, accueillant les propositions des musiciens. Jamais de Oui, chef !


Transparence et clarté du son, le Finlandais exploite très bien ces qualités si souvent attribuées à l’Orchestre de Paris. Dans Les Hébrides, on entend chanter les hautbois dans le grand crescendo par-dessus les cordes en staccato précédant la réexposition. Dans les stases sinueuses de Dutilleux, il laisse toute la place et son expression au soliste, Jean-Guihen Queyras, qui n’est pas Rostropovitch mais qui riffe comme un Rolling Stone dans les passages en double cordes. Il finira par jouer seul la Sarabande de la Quatrième Suite de Bach, morceau aimé du compositeur et bis poignant. Dans la symphonie de Strauss, bien qu’un peu trop cuivrée, les cordes respirent, trompettes, cors et orgue se fondent parfaitement à partir de l’« Ausklang », c’est la luxuriance orchestrale maîtrisée au bon tempo, le son ample et propre. À part une corde sautant inopinément en pleine randonnée alpestre. Tout est là, sauf la rondeur, le son chaud. Mendelssohn n’en reste pas moins aimable, Dutilleux fougueux, Strauss puissant.


Mais au lieu des passions humaines, on entend plutôt souffler les forêts finnoises, puis on se met à considérer la musique pour elle-même, ramenée à ses propres paramètres, son squelette schenkérien sans chair extramusicale. Sur le thème principal en la majeur de la symphonie alpestre, on entend moins la joie du randonneur au lever du soleil qu’un thème de cordes en trémolos très bien conduit. De même qu’on perçoit la densité du contrepoint, la tension wagnérienne de la partie « Vision », les accords tristanesques de l’« Ausklang » mais pas tellement les états d’âme de l’Antéchrist. Avec Mäkelä, tout taille si bien mais il nous vient peu d’images, seulement la parfaite coupe de la musique pure, un comble pour de la musique à programme.


J’entends les éloges du groupe de jeunes filles à ma gauche. J’ai lu ceux de la presse, les déclarations des musiciens de l’orchestre qui l’aiment comme Joëlle Cousin, violoniste : « Il n’est pas du tout dans le star-system, dans la culture de l’ego. » Oui... c’est peut-être justement ce qui lui manque, cette doublure de noirceur et de violence, comme celle de son prédécesseur britannique, Daniel Harding. Face à l’Orchestre de Paris, Mäkelä est plus proche d’un Paavo Järvi, chef méticuleux et tranchant après avoir plongé sa baguette dans le bleu froid. A côté, Blomstedt et Karajan font figure de sudistes.


Pourtant, le chef de ce soir est moins ascétique que son devancier estonien. Il sautille sur l’estrade, marque des accents qui ne ricochent pas toujours sur l’orchestre, n’hésite pas à faire quelques grands gestes, quitte à contredire l’enseignement de son grand professeur Jorma Panula sur le « Smaller but exact beating ». L’élève est devenu maître et « la jeunesse n’est pas forcément un handicap » comme le rappelle Mäkelä dans ses interviews. Il a raison, mais jeunesse devrait être folie, on n’est pas (encore) sérieux quand on 25 ans.


Si l’on s’arrête au seuil de la grande émotion, c’est peut-être que le Finlandais se refuse à déborder la partition. De loin, il est parfois ce roseau solitaire pliant souplement sous l’énergie impeccable de l’orchestre dont ne sait plus très bien s’il est admirablement conduit ou s’il joue admirablement seul ; c’est sûrement une prouesse, une façon moderne de diriger, une nouvelle griffe, la rançon de l’ego évaporé... Mais pour nous, quitte à jouer les Anciens, il manque la douleur, les passions humaines, ces boursoufflures qui ne sont pas que de vains reflets du moi. Saint-Laurent, créateur écorché parfois mauvais garçon ; Mäkelä, démocrate équilibré un tantinet trop sage. Des nuances de bleu pour le chef d’orchestre. Et plus d’ombres pour le couturier, qui disait lui-même : « Le noir est mon refuge, le noir est un trait sur la page blanche. » Chacun sa griffe.



Armand Alter

 

 

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