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Présence du passé Paris Maison de Radio France 01/30/2002 -
Jean-Jacques di Tucci : Sirius Tan Dun : Orchestral Theatre II : Ré - Tigre et dragon (créations françaises)
Stephen Richardson (basse), Tang Junqiao (flûtes chinoises), David Cossin (percussion), Anssi Karttunen (violoncelle) Orchestre philharmonique de Radio France, Myung-Whun Chung, Tan Dun (direction)
En programmant deux pièces spectaculaires de Tan Dun, René Bosc a sans doute voulu, pour ce concert inaugural de la dixième édition de « Présences » dont il est le directeur artistique, frapper fort et démontrer l’esprit d’ouverture de cet important festival consacré à la création musicale, qui propose, en 15 jours, 17 concerts, 53 compositeurs originaires de 14 pays, 60 œuvres, 34 créations (19 mondiales, 15 françaises) et 25 commandes de Radio France.
En apéritif, Sirius de Jean-Jacques di Tucci (né en 1958), créé en 2001 à Montpellier, forme un diptyque avec Antarès (1997), qui n’est malheureusement pas repris à cette occasion. Ecrite pour un bel effectif (bois par quatre, quatre cors, quatre trompettes, trois trombones, tuba, cinq percussionnistes), cette pièce d’une durée de dix minutes offre les raffinements d’une orchestration à la française, dans un langage qui se situerait quelque part entre la force incantatoire de Jolivet, la dimension tellurique de Varèse et les chatoiements de Dutilleux. Myung-Whun Chung dirige avec conviction cette partition certes assez peu inattendue, mais fort bien écrite.
Deuxième d’une série de quatre compositions, Orchestral theatre II : Ré (1993) de Tan Dun (né en 1957), donné en création française, concentre en dix-neuf minutes une succession de procédés originaux et spectaculaires : bois répartis dans la salle, participation du public, rôle parlé et mimé confié aux deux chefs d’orchestre (Tan et Chung), bruitages divers (musiciens tournant à grand bruit les pages de leur partition ou se servant de la seule embouchure de leur instrument, percussionniste remuant de l’eau et plongeant un triangle dans une bassine munie d’un amplificateur), pierres frappées par deux percussionnistes.
La démarche du compositeur chinois est, comme à l’habitude, syncrétique. Nulle raison de mettre a priori en doute la sincérité de cette pièce. Certains trouveront sans doute même la ou les clefs de cette œuvre qui, autour d’un ré omniprésent, mêle le chant d’un moine tibétain, confié à une basse soliste, des bribes de texte en anglais également confiées aux deux chefs, à la manière du premier Berio, et des imitations de bruits de la nature. Tan Dun se place nécessairement, de par son propos, hors de toute préoccupation chronologique, mais ce type de happening musical évoque fortement les années 1970 et, dans ce registre, l’on serait en droit de préférer par exemple les oratorios de Bronius Kutavicius.
Selon les canons de la musique occidentale, la musique composée par le même Tan Dun pour le film Tigre et dragon (2000) d’Ang Lee n’apporte rien de nouveau. Ici aussi, l’œuvre est aussi hybride que son projet : concerto pour violoncelle en sept sections (y compris une cadence), qui donne également un rôle important à un percussionniste et à une joueuse de flûtes chinoises ; tentative de synthèse entre Orient et Occident, avec des instruments, dont le violoncelle, qui s’efforcent de reproduire la sonorité d’instruments traditionnels ; projection d’images, en partie numériques, spécialement réalisées pour l’occasion et généralement assez statiques (vues de Pékin et New York, arbres ondulant au ralenti sous le vent, désert avec cavaliers, danse du sabre, scène de calligraphie).
L’orchestre est réduit aux cordes, avec une harpe et quatre percussionnistes (qui disposent notamment de deux timbales chacun). Le percussionniste soliste a tantôt un rôle de leader de l’ensemble du pupitre, tantôt un rôle soliste proprement dit, notamment dans un étrange numéro de tube creux relié à un micro et placé face à un haut-parleur, jouant à la fois de l’effet percussif lorsqu’il est frappé et de l’effet Larsen lorsqu’il est déplacé devant le haut-parleur. Les flûtes chinoises sont tout à fait charmantes. L’adéquation entre le côté souvent expérimental du film et l’apparence à la fois classique (ostinati rythmiques, harmonies peu complexes, expression volontairement décantée) et traditionnelle (orientale) de la musique n’apparaît pas toujours très clairement. Quelques protestations émaillent les trois quarts d’heure de cette création française stoïquement dirigée par le compositeur.
Réunissant un très nombreux public, ce premier concert donne une image nécessairement partielle du paysage musical actuel. Nul doute que les prochaines manifestations permettront de compléter un panorama qui a l’ambition, plus que jamais, d’être exhaustif.
Le site de « Présences » : http://www.radio-france.fr/chaines/orchestres/festival-presences/
Simon Corley
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