About us / Contact

The Classical Music Network

Madrid

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Avatars du baroque tardif et raillerie de l’opera seria

Madrid
Teatro Real
11/13/2021 -  et 14, 15, 16, 17, 19*, 20, 21, 23 novembre 2021
Georg Friedrich Händel: Partenope, HWV 27
Brenda Rae*/Sabina Puértolas (Partenope), Teresa Iervolino*/Daniela Mack (Rosmira), Iestyn Davies*/Franco Fagioli (Arsace), Anthony Roth Costanzo*/Christopher Lowrey (Armindo), Jeremy Ovenden*/Juan Sancho (Emilio), Nikolay Borchev*/Gabriel Bermúdez (Ormonte)
Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Ivor Bolton (direction musicale)
Christopher Alden (mise en scène), Andrew Lieberman (décors), Jon Morrell (costumes), Adam Silverman (lumières), Elaine Brown (chorégraphie)


(© Javier del Real/Teatro Real)


Si pour l’opéra du XVIIIe siècle, l’Histoire n’est qu’un prétexte (les amours et les vertus politiques travesties en monde antique), si la Partenope de Haendel n’est qu’un prétexte pour se moquer un peu ou beaucoup de l’opéra métastasien... Alors, pourquoi pas ne présenter aujourd’hui cette reine, princesse, femme fatale dans un habit tout à fait moderne ? Pour nous, un siècle, presque rien. Nancy Cunard (1896-1965) est la Partenope de Christopher Alden. Si l’on ne connaît pas l’existence de Nancy Cunard, poète, auteur, muse, diva dont la mémoire a largement survécu à son temps mais sans atteindre la longévité (elle n’a pas été prise dans ce piège !), ce n’est pas grave. On nous raconte cela, et on comprend. Comme, par exemple, on comprend l’opéra de Willem Jeths, Ritratto (Opéra de Hollande, 2020 ou plutôt 2021, à cause du covid), où l’héroïne est la marquise Luisa Casati, mécène, muse, femme idolâtrée ; un opéra avec des personnages tels que Romaine Brooks, Diaghilev, D’Annunzio, Marinetti... et Man Ray. Celui qui a fait les portraits de la marquise Casati et de Nancy Cunard. Man Ray est présent dans l’imaginaire de la Partenope de Christopher Alden, ses images et aussi sa parodie dans le personnage d’Emilio. La réalité n’existe plus. Ce qui existe est la reproduction photographique.


Les muses de la Belle Epoque et de l’entre-deux-guerres tentent les maisons d’opéra de notre temps. Les cas de la Casati de Jeths et de la Nancy/Partenope d’Alden ne sont pas isolés. On peut penser à la diva inspirée par Maria Callas pour l’opéra Prima Donna de Rufus Wainwright (Opéra de Suède, 2020). La Rivale de Marco Taralli est un opéra dont l’héroïne est également Maria Callas, mais il s’agit de la vie de Callas racontée par une rivale (Novara, 2016): Callas, encore un mythe, mais plus proche dans le temps. Et cela plaît davantage que d’autres références plus proches de la presse trop populaire, donc méprisable, de la presse des reines, princesses et vie mondaine. L’identification chez Warlikowski entre Alceste et la princesse Diana... là, cela flaire un peu l’opportunisme. En revanche, Casati, Nancy ou Callas sont... de la culture. On peut y reconnaître, si l’on veut, quelques personnalités historiques, littéraires, dans la cour de Nancy/Partenope. Et si l’on veut imaginer, je veux imaginer Louis Aragon comme étant le personnage d’Armindo. Louis n’a pas résisté aux bras experts, éprouvant un amour plus ou moins fou pour Nancy, un peu plus âgée que lui ; ils sont même venus à Madrid vers 1925, et j’ai lu quelque part dans une biographie d’Aragon des détails piquants de leur voyage. Cette Nancy d’Alden est un peu « L’Anglaise et les Quatre Continents ». Nancy Cunard n’a pas été que cela, mais aussi une autre femme, plus mûre, engagée politiquement et socialement, par exemple dans son appui sans répit pour la République légitime pendant la guerre d’Espagne. Mais ce n’est pas le lieu de développer davantage et il est donc recommandé de lire la biographie de Nancy Cunard par Lois Gordon.


Partenope, on l’a vu, se moque de l’opera seria, mais en conservant sa structure : le va-et-vient des amours, mais ici sans morale politique héroïque. Les personnages sont plus légers, à commencer par Partenope, plus moderne que les héroïnes de l’opera seria, une esthétique en vigueur pendant plus d’un siècle, et dont l’attrait est difficile à comprendre de nos jours et même depuis longtemps. Mais l’histoire est simple: la reine Partenope a une cour de soupirants, et elle préfère Arsace. Mais il y a aussi une femme abandonnée par Arsace (infidele, traditore !) : c’est Rosmira, qui arrive à la cour de Partenope déguisée en prince Eurimene, un autre soupirant. Evidemment, Arsace reconnaît Rosmira et... Cela demanderait du souffle, et il n’est pas nécessaire tout raconter. Nous avons les conventions de l’époque : les voix féminines pour des personnages masculins (un héritage qui n’est pas l’apanage seul des castrati), le travestimento, mais cette fois-ci de la femme habillée en homme, comme très souvent dans la comédie classique espagnole; et aussi les couples réunis à la fin: Partenope et Armindo, Rosmira et Arsace vont se marier. On se souvient de Frank Sinatra : «amour et mariage, l’un ne va pas sans l’autre». Frankie, est-ce que tu te payes notre tête ?


Voix claire, puissante, véritable actrice, Brenda Rae endosse le rôle de Partenope/Nancy avec un style éloigné des habitudes actuelles. S’il ne faut pas surestimer ces lois en vigueur, force est cependant de constater que les beautés indéniables de l’interprétation de Rae sont hors de style. Et cela marque tout le spectacle du côté des sons. On a souvent écrit que l’Orchestre du Teatro Real est à la hauteur du niveau de ce théâtre, devenu une référence internationale, un bon ensemble, parfois extraordinaire. Mais ce n’est pas un ensemble spécialisé au regard des critères actuels dans le domaine baroque. Ces musiciens n’ignorent pas le baroque, mais leur son n’est pas le son des ensembles européens, y compris espagnols. Pour prendre un exemple assez récent pour ce même opéra, la Partenope de l’Opéra du Danemark (2008) n’était pas jouée dans la fosse par l’orchestre maison, mais par l’ensemble Concerto Copenhagen, dirigé par Lars Ulrik Mortensen. Il faut toutefois signaler que les cuivres de la Partenope du Teatro Real sont des instruments naturels.


Tout cela sans se méfier un tant soit peu des dogmes, également en vigueur, quant à l’authenticité historique indémontrable ou aux véritables sons des instruments d’origine. La guerre contre les modèles non historiques, non philologiques, est gagnée depuis longtemps, mais rien ne prouve qu’on soit arrivé sur la véritable scène des vérités cachées par l’histoire. Et on ne sera ingrat pour les enregistrements des cantates de Bach par Karl Richter, malgré tout ce qui est arrivé après ; on ne sera pas ingrat non plus pour I Musici, I Solisti Veneti... Ils ont ouvert la voie, même si l’on se souvient de quelques inspirations qu’on trouverait un peu insipides aujourd’hui. Il faut d’ailleurs être conscient que le baroque est une découverte du XXe siècle. Et, comme toute découverte, cela commence par un début modeste, une petite exploration, et on tarde à comprendre l’étendue de ce territoire démesuré. Aucun opéra de Haendel n’a été produit au XIXe siècle, et ce n’est que dans les années 1960 qu’on a reconnu qu’il avait écrit pour l’opéra autre chose que Jules César. Et qu’il fallait apprendre de quelle façon on devait jouer cette musique. On se situe donc dans un espace de connaissances mouvementé, où le dernier mot n’est jamais garanti.


Les costumes de Jon Morrell pour le rôle-titre sont d’une beauté et d’une élégance épatantes. C’est une explosion de glamour. On a déjà questionné le choix d’interprétation vocale fait par Brenda Rae, malgré ses exploits indéniables, mais elle est actrice et elle brille avec les modèles de Morrell. En même temps, les décors d’Andrew Lieberman sont stylisés, élégants aussi. Le palais ou grand appartement de la belle héroïne, aimée et convoitée, sont à la hauteur du glamour imaginé par Alden dans une mise en scène étincelante, où le choix pour les personnages est de dépeindre des types, pas de caractèreses : ils sont eux-mêmes dès le début, chez Haendel et chez Alden, avec un sens de l’humour bien nuancé et mesuré, parfois tenté par un côté bouffe qui n’est pas étranger à l’action.


Il s’agit d’un opéra à six personnages, comme d’habitude dans l’opera seria, objet des railleries de Haendel avec sa Partenope. Le contre-ténor Iestyn Davies est un formidable Arsace, qui partage le haut de l’affiche avec les deux femmes, soupirant plaisamment tourmenté entre deux amours. La mezzo Teresa Iervolino est à la hauteur du traître qu’elle aime, avec une belle et puissante voix et un jeu d’actrice espiègle et retenu. Armindo, timide et découragé (mais c’est lui qui réussit à finalement être aimé de Partenope), est pour la belle voix de l’autre contre-ténor de la distribution, Anthony Roth Costanzo, progressant de l’amant affligé au plus bouffe des numéros (les arie sont abondantes dans Partenope, et plus courtes que d’habitude). Le ténor Jeremy Ovenden campe efficacement Emilio : ennemi armé à l’origine, il est ici un photographe dont les insolences le mènent tout de suite à un échec comique. Enfin, Nikolay Borchev est parfait dans le rôle d’Ormonte, le bras droit de Partenope, le seul qui n’est pas amoureux ni ne convoite rien d’autre.


Ivor Bolton, comme d’habitude, mène cet orchestre non baroque avec un compromis plus ou moins satisfaisant, et parfois avec un feu unique, une de ses marques de fabrique. Les voix, la mise en scène, avec les beautés visuelles des costumes et décors, la fosse, tout fait de cette Partenope un spectacle où l’ennui ne s’installe jamais. Ajoutons que la seconde distribution présente d’excellents chanteurs, avec Puértolas, Fagioli...



Santiago Martín Bermúdez

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com