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Smile et autres chansons de Chaplin Strasbourg Palais de la Musique 11/18/2021 - With a smile, Ciné-concert en hommage à Charlie Chaplin Orchestre philharmonique de Strasbourg, Frank Strobel (direction) (© Nicolas Roses)
D’Intolérance de Griffith au Nosferatu de Murnau, d’Alexandre Nevski d’Eisenstein au Chapeau de paille d’Italie de René Clair : le catalogue de l’Europäische FilmPhilharmonie est riche de plus d’une centaine de titres de films, muets ou parlants, en vue de réaliser des projections en salle avec orchestre. De surcroît, cette société allemande, fondée en 2000 par le chef d’orchestre Frank Strobel, met à chaque fois à disposition l’intégralité des moyens nécessaires : copie du film, matériel d’orchestre complet, assistance technique pour la projection, dossiers de communication presse déjà préparés, voire assistance juridique pour les problèmes éventuels de droits à négocier... Un prestataire de services d’une efficacité remarquable, pour les orchestres voire les maisons d’opéra qui peuvent trouver là d’utiles enrichissements à leur programmation, sans avoir à redouter la moindre anicroche dans un domaine qui reste très spécialisé. Et si d’aventure votre institution ne dispose pas d’un orchestre, qu’à cela ne tienne, la société peut aussi puiser dans son carnet d’adresses pour vous en fournir un ! Au « catalogue » on trouve aussi huit chefs, quatre compositeurs/orchestrateurs/arrangeurs... De la simple location de projet clé en main à l’élaboration de soirées originales, tout est possible. Il suffit de prendre contact, et il y en a pour tous les budgets.
A Strasbourg, le choix s’est porté sur With a smile, l’un des produits les plus récents proposés. Une mosaïque documentaire nouvellement compilée sur Charlie Chaplin, qui, on cite le descriptif catalogue «associe humour et émotion sincère, divertissement et humanité, pantomime à l’écran et musique symphonique en direct. Le tout sous la signature inimitable de Charlie Chaplin. Une sélection minutieuse de séquences de films, tantôt iconiques tantôt matériaux méconnus. Des photographies et des films privés des archives Chaplin sont également inclus, de même que de nouveaux arrangements voire de nouvelles reconstitutions de partitions».
Côté iconique, on retrouve effectivement d’incontournables séquences des Temps modernes, du Dictateur, du Cirque, du Kid ou, plus rares mais hautement burlesques, du Vagabond. Côté trouvailles, une désopilante mise en boîte de la chorégraphie de Nijinsky pour le Prélude à l’après-midi d’un faune, dans Sunnyside. Le projet tente aussi de documenter un peu mieux le travail de Chaplin compositeur, de fait assez mystérieux, les musiques de nombreux films de Chaplin restant signées par Chaplin lui-même alors que ses compétences musicales étaient réputées essentiellement instinctives. Un travail surtout d’équipe, faisant intervenir beaucoup de collaborateurs anonymes, arrangeurs, orchestrateurs, Chaplin n’ayant donné vraisemblablement que les idées mélodiques essentielles et des desiderata de rythme et de synchronisation avec les effets comiques visuels. Au cours de cette projection, une brève séquence où on voit Chaplin lui-même diriger un orchestre de studio en dit assez long sur le sujet : une gestique d’un génial pouvoir d’évocation poétique, mais techniquement indéchiffrable.
Des compositions collectives, les directives du maître d’œuvre débouchant néanmoins sur une remarquable symbiose entre musique et images. Les séquences les plus drolatiques de Chaplin procèdent effectivement d’un sens rythmique très affûté, art du gag visuel calibré au dixième de seconde près, que les musiques de ses films parlants valorisent à la perfection, mais que l’on ne retrouve pas toujours au cours de cette soirée. En dépit de sa connaissance encyclopédique du sujet et de son expérience du genre particulier du ciné-concert, Frank Strobel a parfois du mal à recoller sur les images la prestation au demeurant très concentrée et réactive de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Le comique de la célèbre scène de rasage du Dictateur, sur la Cinquième Danse hongroise de Brahms, s’en ressent un peu, et de même pour la scène de folie délirante des Temps modernes, qui s’appesantit excessivement. Quant aux travaux d’orchestration récents, ils sont carrément indigestes, notamment la séquence sans images consacrée aux thèmes des plus célèbres chansons de Chaplin, où l’orchestrateur Stefan Behrisch a eu la main très lourde. Il est vrai aussi qu’ici on sollicite un orchestre symphonique entier, ce qui n’était certainement pas vrai pour les compositions d’origine, destinées à des formations plus empiriques.
Même regret pour la célèbre Nonsense Song des Temps modernes, où on tente de recoller la seule voix de Chaplin sur l’orchestre jouant en live, l’amalgame restant malheureusement trop artificiel. Lors d’un ciné-concert précédent dans la même salle, en 2013, le chef Timothy Brock avait prudemment préféré laisser cette séquence en l’état, donc sans orchestre. Et force est de constater qu’en dépit d’une inévitable réduction brutale du champ sonore, du fait du retour momentané à la seule bande son d’origine, l’effet comique était bien plus explosif.
Laurent Barthel
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