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L’appel de la mer Bruxelles Bozar, Salle Henry Le Bœuf 10/17/2021 - et 20 octobre 2021 Lodewijk Mortelmans: De Kinderen der zee Yves Saelens (Ivo Mariën), Tineke Van Ingelgem (Stella), Christianne Stotijn (Geertrui), Werner Van Mechelen (Petrus), Kris Belligh (Bolten), Gilles Van der Linden (Frederik)
Chœurs d’enfants et de jeunes, Académie des chœurs de la Monnaie, Octopus Kamerkoor, Chœurs de la Monnaie, Jan Schweiger (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Alain Altinoglu (direction)
Lodewijk Mortelmans
Lodewijk Mortelmans (1868-1952) : sauf si vous possédez une solide connaissance de la musique belge, vous ignorez probablement ce nom. Cet Anversois fut pourtant une personnalité assez importante, en Belgique, par son activité de chef d’orchestre, mais aussi de compositeur et de professeur au Conservatoire de sa ville natale, dont il assura également plus tard la direction. Il a dirigé des concerts avec d’illustres interprètes, comme Pablo Casals, Pablo de Sarasate et Jacques Thibaud, et a invité des chefs aussi réputés que Gustav Mahler, Arthur Nikisch et Richard Strauss. Le catalogue comporte de nombreuses mélodies, qui ont forgé sa réputation, même dans la partie francophone du pays, ainsi que des pages pour chœur et pour orchestre, mais Mortelmans n’a composé qu’un seul opéra, malgré son intérêt pour le genre depuis l’enfance.
La genèse de De Kinderen der zee (1900-1915), qui peut se traduire par Les Enfants de la mer, fut longue, d’autant plus que Mortelmans a dû patienter pendant de nombreuses années avant de disposer enfin d’un livret qui lui convienne. De plus, la création, le 27 mars 1920, à l’Opéra des Flandres, a été retardée à cause de la Première Guerre mondiale. La critique de l’époque a salué la qualité de l’exécution, mais a trouvé à redire sur le choix du livret de Rafael Verhulst, qui, de son point de vue, conviendrait davantage à un oratorio. Cet ouvrage a été par la suite très peu représenté. Déçu par la production et des conditions dans lesquelles elle a eu lieu, Mortelmans en a empêché pendant longtemps l’exécution, même s’il en a conçu plus tard une suite d’orchestre.
Cet élève de Peter Benoit tire pourtant de cette histoire de pêcheurs victimes d’une malédiction un opéra au grand souffle dramatique, dans la mouvance wagnérienne, avec le recours à des leitmotive, mais sans imitation flagrante. Cette musique ne porte pas de trace évidente de génie mais elle possède une âme et se révèle de qualité assez élevée, sans faiblesse, en tout cas. Elle témoigne d’un solide métier, de beaucoup d’honnêteté, d’un goût sûr, d’une capacité, aussi, à installer une atmosphère et à alterner entre tension et détente, entre moments festifs et dramatiques. Le style semble proche de celui d’un Jongen ou d’un Ysaÿe, dont Piére li houyeû, créé dix ans plus tard au Théâtre royal de Liège, pourrait être l’équivalent – à un moment, dailleurs, l’un des protagonistes fait référence à ces Wallons s’épuisant dans les mines. L’argument, en revanche, rappelle celui de Riders to the sea de Vaughan Williams où il est également question de mères pleurant leurs fils disparus au large.
La Monnaie a eu l’excellente idée d’exhumer cette rareté, donnée en version de concert, avec une distribution compétente et crédible qui ne comporte, à une exception, que des chanteurs belges néerlandophones comptant parmi les meilleurs. Forts de la connaissance de la langue, tous caractérisent parfaitement leur rôle et adoptent le ton juste, entre emportements lyriques et attention portée au texte. L’excellent Yves Saelens, ténor mozartien capable de puissance, incarne Ivo, tenté par l’appel de la mer, mais épris aussi de Stella. Dans le rôle de la bien-aimée, Tineke Van Ingelgem séduit par la richesse de son timbre de soprano. L’impeccable Werner Van Mechelen convainc à chacune de ses interventions, par sa voix et son autorité, en Petrus, vieux pêcheur prédisant qu’un grand malheur va s’abattre sur ces jeunes gens, car tout homme prenant la mer après son mariage mourra avant la naissance de son premier enfant. Christianne Stotijn, de nationalité néerlandaise, personnifie idéalement par son timbre de mezzo-soprano la mère d’Ivo et de Bert, le frère victime d’une catastrophe en mer à la fin du premier acte. Kris Belligh campe avec noblesse Bolten, le gardien du phare, tandis que Gilles Van der Linden attire favorablement l’attention dans le plus petit rôle Frederik. Le néerlandais chanté sonne ainsi aussi agréablement que l’allemand.
Selon le programme, les choristes exercent une fonction assez importante dans cet opéra, et l’affiche initiale laisse penser qu’ils auraient dû être nombreux sur scène, mais comme quelques membres des chœurs ont été contrôlés positifs au coronavirus, l’exécution se déroule sans eux, ce qui conduit malheureusement à une amputation de la partition d’environ un quart d’heure. A la tête d’un orchestre impliqué et précis, Alain Altinoglu réussit à rendre justice à cet opéra à la nature éminemment descriptive et évocatrice, aux contours nets, au déroulement implacable, notamment dans le tragique dernier acte dans lequel se manifeste la force inéluctable de la mer. Quant aux choristes, qu’ils ne rangent pas trop vite leur partition. Une fois tout le monde rétabli, la Monnaie ferait bien de reprendre cet opéra en studio au complet, avec ce chef et ces chanteurs. De Kinderen der zee mérite un bel enregistrement de référence.
Sébastien Foucart
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