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Grand répertoire Baden-Baden Festspielhaus 10/02/2021 -
2* et 3 octobre 2021
Tod in Venedig
John Neumeier (chorégraphie, costumes, lumières), Johann Sebastian Bach, Richard Wagner (musique)
Hamburg Ballett John Neumeier
Sebastian Knauer (piano)
Peter Schmidt (costumes et décors)
8, 9* et 10 octobre 2021
Ein Sommernachtstraum
John Neumeier (chorégraphie, mise en scène), Felix Mendelssohn, Győrgy Ligeti et musiques pour orgue mécanique (musique)
Hamburg Ballett John Neumeier
Philharmonie Baden-Baden, Markus Lehtinen (direction)
Jürgen Rose (décors, costumes)
(© Kiran West)
La tradition de résidence automnale du Ballet de Hambourg à Baden-Baden remonte à il y a vingt-trois ans déjà, soit depuis l’année même de l'inauguration du Festspielhaus. A chaque fois, c’est toute la troupe qui accompagne John Neumeier, son directeur depuis 1973, pour une programmation d’une à deux semaines, incluant en principe deux grands ballets du répertoire de la compagnie, et quelques spectacles satellites, dont cette année une touchante Heure exquise de Maurice Béjart.
Même l’automne dernier, en pleine incertitude sanitaire, John Neumeier avait tenu à faire le déplacement, et proposé le poignant « ballet confiné » Ghost Light, fragile lueur d’espoir, peu avant que le Festspielhaus ne doive à nouveau refermer ses portes pour une très longue période. Cette fois-ci, la réouverture est un peu plus assurée, sous le signe du pass sanitaire, avec encore des masques et des places libres laissées entre les spectateurs, mais davantage l’apparence d’une soirée normale. Et Neumeier est venu avec deux ballets célèbres, susceptibles d’attirer suffisamment de public pour des soirées consensuelles.
L’objectif ne paraît que partiellement atteint avec Mort à Venise, où Neumeier adapte le même roman de Thomas Mann qu’avant lui Benjamin Britten et Luchino Visconti. Le sujet, à notre avis, n’a été totalement inspirant pour aucun des trois. A chaque fois, le traitement en petites séquences de la pulsion amoureuse entre un artiste vieillissant et un très jeune homme apparaît réducteur, alors que le propos du roman vise beaucoup plus large. Mais il faut compter aussi avec la virtuosité et le savoir-faire de génies, qui même d’un sujet difficile ont su tirer quelque chose d’émouvant, et Neumeier ne fait pas exception. Dans sa propre adaptation, Aschenbach est un chorégraphe (il fallait s’y attendre !), en pleine crise créatrice, aux prises avec un ballet néo-classique, sur Frédéric II de Prusse et des musiques de Jean-Sébastien Bach, qui n’avance pas, en panne d’inspiration. Ce qui donne à Neumeier l’occasion de nous infliger des séquences d’une chorégraphie intentionnellement mauvaise (effectivement !). En plein marasme survient alors l’appel vers autre chose, incarné par un couple de danseurs empreints d’une tension homoérotique croissante, au fur et à mesure de leurs métamorphoses : le promeneur, le gondolier, le danseur, Dionysos, le coiffeur, le guitariste... l’intitulé est au singulier, mais pour chacun des ces rôles il y a toujours deux danseurs, ce soir les excellents Marc Jubete et Félix Paquet, en pleine complicité tentatrice, qui vont entraîner progressivement l’Aschenbach de Christopher Evans, délibérément raide et emprunté au début, dans une danse macabre à l’issue fatale. Les musiques de Wagner, d’abord interprétées au piano, à gauche du plateau, par Sebastian Knauer, puis diffusées en extraits d’orchestre enregistrés, prennent progressivement l’avantage sur celles de Bach, la tension érotique culminant dans une Bacchanale de Tannhäuser et surtout ensuite une musique rock de Jethro Tull où la chorégraphie s’essaye au torride, sans vraiment convaincre, mais avec quelques élans spectaculaires.
Les trois grands pas de deux entre Aschenbach et Tadzio sont plus émouvants, interaction de deux corps dont on on ne sait jamais si elle est réelle ou rêvée. De beaux moments de pudeur sensible, qui se résolvent à la fin sur la vision d’un Aschenbach à genoux, sans doute mourant, aux pieds d’un très jeune homme qui déjà ne le regarde plus. Aujourd’hui c’est Atte Kilpinen, 25 ans, qui reprend ce rôle de Tadzio, avec une patente innocence et le rien d’ambiguïté qui doit l’accompagner. Evin Revazov, Alexandr Trusch... ses prédécesseurs dans cet emploi balnéaire (y compris une partie de ballon sur la plage, en maillot de bain, toujours impeccablement jouée : aucun ballon perdu en route !), sont devenus entre temps des piliers du Ballet de Hambourg. Evin Revazov danse Aschenbach à présent, et Lloyd Riggins, créateur du rôle, est aujourd’hui le directeur adjoint de la troupe. Une remarquable continuité.
(© Kiran West)
La vigueur de cette tradition, qui sous-tend toute l’activité du Ballet de Hambourg, compagnie qui certes crée beaucoup mais entretient aussi ses classiques, se confirme avec l’autre grand ballet programmé : Rêve d’une nuit d’été. Créé en 1977, il n’a jamais quitté le répertoire de la troupe, qui l’avait déjà présenté à Baden-Baden en 2012. Et au moins une demi-douzaine d’autres compagnies l’ont conservé à leur répertoire. L’alternance serrée entre la partition de Mendelssohn, jouée à l’orchestre, et les musiques de Ligeti enregistrées, la beauté coloriste des décors et costumes de Jürgen Rose, tout cela fonctionne encore bien mais apparaît quand même assez daté. On admire la beauté de la scénographie, les matériaux utilisés par Jürgen Rose, dont certains strictement introuvables aujourd’hui, accrochent toujours la lumière avec autant de magie, et l’inventivité de la chorégraphie de John Neumeier, qui mélange hommages académiques et science-fiction désormais rétro avec une virtuosité délectable, mais tout cela nous parle surtout comme un bel objet derrière une vitrine. Une muséification qu’il faut aussi savoir accepter, et qu’en tout cas la troupe défend avec une indéfectible énergie. Hélène Bouchet reste une Hippolyta/Titania impeccable et sensible, en duo avec Christopher Evans, qui manque d’un rien de classe et de majesté en Theseus/Oberon. Sympathique quatuor de jeunes tourtereaux, dont les excellents Félix Paquet en Demetrius et Xue Lin en Helena, en fait un quintette si l’on y inclut le Puck bon enfant d’Atte Kilpinen. En fosse, Markus Lehtinen dirige une Philharmonie de Baden-Baden un peu éteinte, manquant probablement d’effectifs, mais qui assume correctement sa partie.
Laurent Barthel
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