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Le Concerto pour piano de Thomas Adès : déjà un « classique »

Paris
Maison de la radio et de la musique
10/08/2021 -  
Thomas Adès : Tower – Concerto pour piano – The Exterminating Angel Symphony
Leos Janácek : Mládí – Sinfonietta

Magali Mosnier (flûte), Olivier Doise (hautbois), Jérôme Voisin (clarinette), Victor Bourhis (clarinette basse), Julien Hardy (basson), Antoine Dreyfuss (cor), Kirill Gerstein (piano)
Orchestre philharmonique de Radio France, Thomas Adès (direction)


K. Gerstein (© Marco Borggreve)


Personnalité à l’honneur du festival Présences 2007 grâce à la clairvoyance de René Bosc, Thomas Adès, fraîchement quinquagénaire, reprend ses quartiers à la Maison de la radio et de la musique le temps d’une soirée. A l’instar du concert chambriste donné lundi à la Fondation Louis Vuitton, le programme est de haute volée.


Après avoir dû recommencer par deux fois leur entrée en raison de décalages, les quatorze trompettistes de Tower – for Frank Gehry (2021), disposés au premier balcon, brillent dans ces mini-symphonies (au sens stravinskien) d’instruments à vent. La figure liminaire, très scandée, cède bientôt la place à un motif chantant habilement monnayé. Apogée conclusive aussi brève qu’irrésistible.


Prélude idoine au sextuor à vent Jeunesse (1924), où Janácek se remémore, comme il fête son soixante-dixième anniversaire, ses années passées au couvent des Augustins de Brno. Chaque ligne mélodique, développée séparément, place les musiciens au même niveau, du basson narquois au pépiement du piccolo en passant par le beau thème slave du deuxième volet dont le dessin essaime à tous les instruments. Si la vocalité inhérente à certains profils mélodico-rythmiques appellerait une articulation plus «diseuse», l’interprétation expressive et d’une belle alacrité des six solistes suscite l’adhésion.


Avec son Concerto pour piano (2018) – en réalité le troisième pour l’instrument après le Concerto conciso (1997) et In Seven Days (2008) –, Thomas Adès s’inscrit délibérément dans une certaine filiation classique: forme tripartite (vif-lent-vif), cadences et «sujets» contrastants. Autant de prétextes pour batifoler avec les conventions tout en faisant montre d’une réjouissante fluidité métrique. La partition, cristalline et résolument séduisante, sollicite un effectif important quoique sans effets de masse. Le Philhar ne donne pas à entendre le poli instrumental proverbial de l’Orchestre symphonique de Boston (cf. enregistrement Deutsche Grammophon), mais rend justice à l’aspect vif-argent de l’orchestration dont la balance cordes/cuivres s’avère périlleuse dans l’acoustique sèche et sonore de l’Auditorium. Kirill Gerstein, commanditaire de l’œuvre, y évolue avec une agilité ichtyenne: octaves sémillantes, clusters glissants (Final), cadences baignant dans un rubato chopinien ou mélodie élégiaque aux inflexions pathétiques (reprise du choral entonné au début du deuxième mouvement par bassons et trombones). Succès bien mérité, qui vaut au public le meilleur des bis possibles, tous étouffoirs levés: Les Adieux (1992) de György Kurtág (né en 1926)... sous-titré «A la manière de Janácek».


Avant de retrouver le compositeur morave, Adès aura assuré la première française de sa Symphonie «L’Ange exterminateur» (2020) d’après l’opéra éponyme créé avec succès à Salzbourg puis à New York. Voici, ventilés en quatre mouvements, quelques moments saillants de l’intrigue. La «Passacaille» chaloupée traduit l’entrée des invités... dont la sobriété reste sujette à caution. L’impressionnant deuxième mouvement reprend l’interlude qui relie les actes I et II, avec force caisse claire et cuivres menaçants. Ilot de tendresse, le troisième puise son matériau mélodique dans le duo d’amour entre Beatriz et Eduardo (acte III) avant que la suite de valses ne resserre à nouveau l’étau sur les protagonistes, réduits ici au statut de pantins désarticulés. Par-delà la virtuosité orchestrale flirtant avec la «pop culture» (on pense à l’univers d’Asyla, 1997) et les clins d’œil délibérés à La Valse (1920) de Ravel, avouons notre légère déception quant à ce final: la musique ainsi dépareillée de son support dramatique verse plus souvent qu’à son tour dans une certaine vulgarité. On regrettera en outre que, pour des raisons aisément compréhensibles de diffusion, Adès ait évincé les ondes Martenot, dont le timbre étrange s’accordait à merveille au livret directement issu de L’Ange exterminateur (1962) de Luis Bunuel.


Il ne faut pas s’en laisser accroire par le titre : la Sinfonietta (1926) de Janácek a beau être d’une durée (relativement) ramassée, son effectif en impose: les cuivres requis pour l’exécution des mouvements extrêmes, «Fanfare» et «La Mairie», totalisent quatre cors, douze trompettes, quatre trombones, deux tubas ténors, deux trompettes basses et un tuba. Musique inclassable, dont l’impact sur l’auditeur tient autant à la fraîcheur et à la jeunesse étonnantes de son inspiration qu’à la folle originalité de son style. Forts d’une mise en place au cordeau, les musiciens se sont surpassés: on ne compte plus les moments de grâce, du nocturne fantastique («Le Monastère de la reine») au retour triomphant des fanfares refermant la pièce «dans une solennité radieuse» (André Lischke). Applaudissements nourris (malgré un public encore trop clairsemé) qui, espérons, augurent de futures collaborations entre Radio France et le compositeur britannique le plus fêté de sa génération.



Jérémie Bigorie

 

 

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