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L’Intercontemporain ouvre le Festival d’automne

Paris
Cité de la musique
10/06/2021 -  
Lisa Lim : Wild Winged-One – Veil
James Dillon : Pharmakeia

Clément Saunier (trompette)
Ensemble intercontemporain, Pierre Bleuse (direction)


C. Saunier (© Quentin Chevrier)


Dans Wild Winged-One (2007), Liza Lim (née en 1966) a imaginé la trompette qui accompagnerait l’Ange de l’histoire, fameux tableau de Paul Klee d’après lequel Walter Benjamin a forgé un concept appelé à faire date. Selon la compositrice australienne, il s’agit de faire écho au désastre écologique. De là ce maelstrom où se trouvent concaténés respiration, expiration, râle, chant et voix parlée. Clément Saunier joue «avec son corps, son souffle et un petit morceau de plastique collé au palais» quand il ne déconstruit pas son instrument, lui ôtant l’embouchure afin de poser les lèvres à même le tuyau.


«Ce qui est caché, voilé (Veil), peut donner un accès paradoxal à des expériences de cognition accrue», nous dit Lim au sujet de sa pièce Veil (1999): des propos que n’aura pas désapprouvés Christo, dont la dernière réalisation (posthume) – l’empaquetage de l’Arc de Triomphe – s’est taillée tout récemment un beau succès auprès du public parisien. Ecrit pour flûte, clarinette basse, trompette, violon, violoncelle et piano, ce morceau de musique est toutefois bien loin du gigantisme du plasticien bulgare. Les «micro-organismes qui peuplent nos intestins» trouvent ici une traduction sonore idoine: frémissements de trilles, glissements de l’archet le long des lamelles du vibraphone ou cordes du piano astiquées à l’aide d’un fil comme on lustre un soulier avec un chiffon.


Mais l’œuvre-événement de ce concert d’ouverture du Festival d’automne reste la création française de Pharmakeia (2017-2020) de James Dillon (né en 1950). A l’occasion du festival Présences 2019 qui le mettait à l’honneur, Wolfgang Rihm affirmait que la «nouvelle simplicité» n’était qu’une «chimère de journaliste». On serait enclin à penser la même chose de la «nouvelle complexité» – bannière sous laquelle on place habituellement les Britanniques Dillon et Ferneyhough – à l’écoute de cette pentalogie d’une pureté minérale (allusion aux grands espaces du Minnesota, où le compositeur a élu domicile?) qui se distingue par sa lisibilité. De même que pharmakon, en grec, désigne à la fois le poison et le remède, l’œuvre donne à entendre cette alliance entre des couleurs opposées, contrastées puis complices d’un procédé d’opération alchimique.


Pharmakeia, découpé en cinq mouvements de durées très inégales, commence avec «Temenos», bloc hiératique, épuré, dont les résonances spectrales semblent lorgner autant vers Messiaen (celui d’Et exspecto resurrectionem mortuorum) que vers Grisey (celui des Espaces acoustiques). Si Dillon travaille sur les grandes masses, c’est toujours avec le souci du détail et de la caractérisation des voix individuelles («pour seize interprètes», précise la partition) Quelques entrées fuguées en tremolos animent bientôt cette matière granitique, à l’image des vestiges d’un temple que recouvrerait une végétation de plus en plus luxuriante. Les musiciens de l’EIC, au premier rang desquels Clément Saunier à la trompette bouchée, réagissent comme un seul homme à la gestique précise de Pierre Bleuse durant plus de 50 minutes. Musique belle et inclassable, à la fois hospitalière par sa forme claire et son processus procédant par réitération, et secrète par son écriture élaborée quoique jamais surchargée. N’est-ce pas ce que notre Rameau appelait «cacher l’art par l’art même»?



Jérémie Bigorie

 

 

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