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Retrouvailles Strasbourg Palais de la Musique 10/07/2021 - et 8 octobre 2021 Richard Wagner : Siegfried-Idyll – Wesendonck-Lieder (orchestration Felix Mottl)
Rodion Chtchedrine/Georges Bizet - Carmen Suite Melanie Diener (soprano)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Claus Peter Flor (direction)
C. P. Flor (© Grégory Massat)
Avec la Deuxième Symphonie de Mahler, ce concert de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg dirigé par Claus Peter Flor aurait très vraisemblablement pris les allures de « cathédrale sonore » que promettaient les affiches. Et peut-être la salle du Palais de la musique serait-elle restée moins clairsemée qu’elle ne l’apparaît ce soir, désertée de façon préoccupante. Le problème est qu’il y a quelques semaines encore il était difficile de prévoir à quelle vitesse irait l’assouplissement des mesures sanitaires. Dès lors il est compréhensible qu’on ait préféré prendre de décisions prudentes en amont, donc passer tôt à un « programme B », mais malheureusement en retombant dans l’ornière des œuvres ouvertement parcimonieuses en effectifs, ce répertoire COVID rebattu tant et plus depuis de longs mois, jusqu’à satiété. Quant au titre « Une cathédrale sonore » malencontreusement resté sur les affiches, il paraît du coup totalement incongru.
Tant pis. Au moins l’effectif requis par les trois œuvres au programme est-il cette fois complet, et de surcroît plus du tout dispersé dans l’espace. Pour les cordes, la configuration est redevenue strictement normale, avec une incidence immédiate sur leur sonorité, d’une plénitude et d’une rondeur décidément impossibles à obtenir autrement. Certes, dans Siegfried-Idyll, dirigé par Claus Peter Flor sans baguette, et en permanence aux aguets pour limiter les dégâts, les stigmates de la crise restent bien audibles, avec au sein de chaque groupe de cordes des petits problèmes récurrents de cohésion et de sûreté d’intonation. Mais Flor préfère mettre en exergue la beauté des atmosphères, des nuances et des phrasés, plutôt que surdiriger, à la recherche systématique d’une précision de toute façon encore hors d’atteinte. Le tempo est raisonnablement allant, sans crispation, et les climats sont... idylliques (!), a fortiori quand le hautbois de Sébastien Giot et la clarinette de Sébastien Koebel, auxquels le chef prépare de magnifiques entrées, prennent la parole. Très belle tenue des cors aussi, et puis surtout on ne s’ennuie jamais, ce qui n’est de loin pas si fréquent dans Siegfried-Idyll.
On a suivi depuis longtemps l’intéressante carrière de Melanie Diener, dont la voix initiale ne laissait que lointainement présager la respectable Isolde qu’elle a pu incarner à partir de 2013, et notamment à l’Opéra national du Rhin, au printemps 2015. Une prise de rôle qu’à l’époque on appréhendait avec un certain scepticisme, mais qui avait plutôt bien fonctionné, même si le format de l’instrument paraissait toujours un peu limité. Ici, six ans plus tard, ce problème de volume se pose moins dans les Wesendonck-Lieder, même dans l’orchestration relativement lourde de Felix Mottl, mais c’est toujours avec les mêmes fragilités qu’il faut composer. « Der Engel » nécessite un petit moment d’échauffement, le temps de trouver les bons appuis, et puis la voix se déploie mieux, un peu serrée sur les notes de passage mais avec somme toute une belle aisance. La diction, souvent intelligible, nous guide avec sensibilité dans ces ambiances crépusculaires et raffinées, et « Träume », voluptueusement accompagné par Claus Peter Flor, est bien le moment de sensualité attendu.
Coq-à-l’âne après l’entracte. Aucun rapport, à moins qu’on ait voulu essayer de nous remettre ici dans la peau d’un Nietzsche virant sa cuti, en passant brutalement à la musique « sur quoi l’esprit danse », après la musique « dans quoi l’esprit nage » (sic). En tout cas nous voici propulsés chez Bizet, mais revu et corrigé par le compositeur soviétique Rodion Chtchedrine. Curieuse partition que cette Carmen Suite, ballet composé en 1967 pour Maïa Plissetskaïa, Madame Chtchedrine à la ville. Avec sa distribution instrumentale particulière (aucun vent, exclusivement les cordes et des percussions variées), l’œuvre ne trahit pas Bizet mais s’amuse à le gauchir bizarrement, voire assume le risque d’une véritable trivialité, démarche qui la rapproche davantage de Schnittke que de Chostakovitch. Assurément une partition à ne laisser entre les mains que d’un grand chef, de ceux qui peuvent faire des miracles avec un matériel ingrat. Mariss Jansons s’y était risqué avec classe, mais Claus Peter Flor fait encore mieux : les effets de surprise, les jeux de masques, l’originalité des transitions, la qualité des équilibres, tout fonctionne, et quand les cordes prennent leur envol, comme dans ce chaleureux Intermezzo où le chant des altos se substitue à la flûte originale, il est impossible de résister. Au lieu du bric-à-brac redouté s’ouvre une véritable malle aux trésors, riche de ces précieux et rares moments d’orchestre où la sensibilité d’un chef et celle de ses musiciens d’un soir s’accordent parfaitement, résonnent en sympathie. Merveilleux !
Laurent Barthel
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