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Un Idoménée méconnu Lille Opéra 09/24/2021 - et 26*, 28, 30 septembre, 2 octobre 2021 André Campra : Idoménée (version 1731) Eva Zaïcik (Vénus), Tassis Christoyannis (Idoménée), Samuel Boden (Idamante), Hélène Carpentier (Electre), Chiara Skerath/Lucy Page (Ilione), Frédéric Caton (Arbas, Protée), Victor Sicard (La Jalousie, Némésis), Yoann Dubruque (Eole, Neptune), Enguerrand de Hys (Arcas)
Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction)
Alex Ollé (mise en scène), Alfons Flores (scénographie), Lluc Castells (costumes), Urs Schönebaum (lumières), Emmanuel Carlier (vidéo)
(© Simon Gosselin/Opéra de Lille)
Il existe un Idoménée moins connu. André Campra (1660-1744) l’a composé sur un livret d’Antoine Danchet avec une conclusion tragique: le roi de Crète assassine son fils, Idamante, à la différence du lieto fine de l’opéra de Mozart. En octobre 2020, l’Opéra de Lille a été contraint renoncer, pour des raisons sanitaires, à monter cette tragédie lyrique dans la mise en scène d’Alex Ollé, le public ayant dû se contenter d’une version réduite pour découvrir cet ouvrage sorti de l’oubli par William Christie il y a une trentaine d’années. La saison débute donc avec cette production prévue de longue date, cette fois dans des conditions un peu plus favorables. Mais ce satané coronavirus continue à sévir. Chiara Skerath ayant été testée positive peu avant la représentation, l’équipe a dû mettre en place le protocole prévu dans cette situation, ce qui a obligé les interprètes à chanter avec un masque. Il a fallu aussi répartir, au pied levé, le rôle d’Ilione entre Lucy Page, membre du chœur, Eva Zaïcik et Hélène Carpentier, qui se chargent, dans la fosse, de la partie vocale, en plus de leur rôle, tandis que Susana Gómez, collaboratrice à la mise en scène, incarne la fille de Priam sur le plateau. A trois, elles sauvent la représentation, qui débute avec une demi-heure de retard, non sans quelques accrocs compréhensibles compte tenu des circonstances.
Malgré cette mésaventure, une distribution compétente garantit un remarquable bilan musical avec, toutefois, quelques disparités, et des timbres plus accrocheurs que d’autres. Tassis Christoyannis compose un superbe Idoménée, à la psychologie bien cernée, et affiche une rigueur et un naturel qui forcent le respect en regard de son parcours, selon sa biographie, moins axé sur le dix-huitième siècle que celui de Samuel Boden, par exemple. Ce dernier se démarque surtout en Idamante par sa finesse, moins par la diction et la présence. Eva Zaïcik engrange des points par sa voix pulpeuse et sa ligne de chant quasiment parfaite, tandis qu’Hélène Carpentier n’atteint pas tout à fait le même niveau, en raison d’un chant certes solide et expressif, mais moins supérieurement tenu, et d’une prononciation plus perfectible. Le reste de la distribution et les choristes se hissent à la hauteur et se montrent dignes de la réputation de l’Opéra de Lille, qui ose défendre avec persévérance des œuvres anciennes assez rare et des compositeurs d’antan moins illustres. De toute façon, comment juger trop sévèrement des interprètes obligés de chanter avec un masque, alors que nous ressentons quelque gêne à porter le nôtre en étant simplement assis dans la salle?
Emmanuelle Haïm livre, sans surprise, à la tête du Concert d’Astrée, une exécution vive et charpentée, capable de finesse et de vigueur. Les phases mouvementées alternent avec naturel et plénitude avec celles plus calmes ou propices à l’introspection. La directrice musicale garantit ainsi un écrin de choix pour tous ces chanteurs soucieux de raffinement, d’éloquence et de rigueur.
A la relative constance de l’exécution musicale s’oppose une mise en scène à l’intérêt plus variable. Les notes d’intention d’Alex Ollé, un des piliers de la Fura dels Baus, témoignent, il est vrai, d’une réflexion profonde sur l’œuvre et la tragédie lyrique, mais elle trahit en même temps une certaine difficulté à s’en approprier les codes. Conscient de la distance que ce genre et cet argument peuvent occasionner, le metteur en scène parvient, dans une certaine mesure, à dégager les profils des différents protagonistes. Assez soutenue, la direction d’acteur restitue la force dramatique de cette pièce et évite de justesse la neutralité et l’homogénéité des caractères, mais cette mise en scène intemporelle échoue à révéler ce que ce récit dit de nous aujourd’hui. La distance demeure, le port du masque n’arrange rien, l’émotion peine à effleurer la surface.
Qui dit Alex Ollé, dit Alfons Flores et Lluc Castells. Cette collaboration de longue date donne naissance à des scénographies toujours élaborées et cohérentes, souvent assez recherchées dans ses effets, parfois déroutantes, avec quelques idées intéressantes ou saisissantes, comme celle, peu neuve, consistant à rendre en seconde partie les personnages masculins semblables, par la tenue et la coiffure, tels des sosies – le procédé s’applique aussi pour les femmes, à l’exception d’Ilione, toute sobrement vêtue de noir. Le collectif catalan a forgé sa réputation sur la vidéo et les effets spéciaux, ce qui se manifeste dans cette production essentiellement par des jeux de miroirs et l’utilisation de panneaux de verre brisés, un procédé qui fonctionne évidemment très bien dans les figures obligées comme la tempête. L’esthétique recherchée ne constitue heureusement pas une fin en soi, mais plutôt ici un moyen, d’autant plus que le plateau se caractérise par un certain dépouillement – un lit, un rocher, une table de réception, des chaises, rien de plus.
Le dispositif ne présente donc pas une folle originalité, mais les ressources mises en œuvre rendent la représentation de cette tragédie en fin de compte assez grandiose, comme à l’époque durant laquelle ce genre de pièce était montée, avec de somptueux décors manipulés par une machinerie complexe. Malgré une relative prudence, alors que d’autres metteurs en scène auraient osé dynamiter le genre, Alex Ollé délivre une authentique création artistique, à défaut d’une expérience véritablement audacieuse. Il manque finalement à ce spectacle des conditions de représentation normales et sereines, pour qu’il soit totalement passionnant, sans port du masque et où chacun interprète le rôle pour lequel il s’est longuement préparé. Un jour, peut-être, lorsque cette horrible et imprévisible épidémie ne sera plus qu’un lointain souvenir.
Le site de l’Opéra de Lille
Sébastien Foucart
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