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Chacun pour soi

Baden-Baden
Festspielhaus
09/25/2021 -  et 25 (Luxembourg), 27 (Amsterdam) septembre 2021
Johannes Brahms : Concerto pour piano n° 1 en ré mineur, opus 15
Anton Bruckner : Symphonie n° 6 en la majeur

Igor Levit (piano)
Münchner Philharmoniker, Valery Gergiev (direction)


I. Levit, V. Gergiev (© Manolo Press/Michael Bode)


Igor Levit et Valery Gergiev sur la même affiche. Il s’agit d’une première, pour ces deux artistes qui n’ont finalement en commun que leurs racines russes et une coïncidence sur leur âge du moment (eh oui: cette année l’un a exactement le double de l’âge de l’autre !). A part ça, on ne voit pas ce qui pouvait les amener, hors quelques opportunités de programmation, à travailler ensemble. Constamment intéressant à suivre, ce Premier Concerto de Brahms, point culminant des brèves «Journées Brahms» que le Festspielhaus de Baden-Baden a réussi à mettre sur pied cet automne, dans des conditions qui restent difficiles, paraît quand même bizarre.


Le pianiste germano-russe aborde l’œuvre avec la préméditation analytique qu’on lui connaît, lecture précise, qui ne laisse rien dans l’ombre, servie par un toucher à la fois articulé et d’une impressionnante musculature. Tout paraît dominé, par un artiste qui à tout moment sait pertinemment où il veut aller. En revanche, il est difficile de comprendre ce que Gergiev cherche à faire. Déjà, sa gestuelle, qui n’a jamais été un modèle de clarté, paraît de plus en plus singulière. Plus de baguette, ni même de mini-ustensile aux allures de cure-dents, mais des mains nues agitées d’un fréquent tremblement des phalanges. Plus guère de battue mais plutôt des gestes désordonnés des avant-bras voire des moulinets. Quant aux entrées données, elles ressemblent davantage à des balises de présignalisation: une fois prévenu, le musicien visé n’a qu’à se débrouiller pour savoir exactement ce qu’il a à faire ensuite. En l’occurrence, face à un orchestre bavarois qui connaît son Brahms, le résultat est loin d‘être médiocre: les musiciens nous en jouent même un très beau, aux couleurs profondes et aux graves massifs, en parvenant même à couvrir les mugissements du chef. Mais, indéniablement aussi, leur Brahms est lourd, complaisamment puissant, et s’il n’écrase pas le pianiste, c’est simplement parce que celui-ci possède suffisamment d’arguments physiques pour se défendre. Sur le vif, cette «collaboration», ou plutôt ce croisement inopiné de trajectoires, passionne, mais on sent bien que le lendemain, en fonction de l’humeur de l’un ou des autres, le résultat pourrait aussi s’avérer totalement foutraque. En l’occurrence, malgré ses bizarreries affichées, Gergiev nous a paru plutôt dans un bon jour. Et Levit de toute façon aussi, prêt à nous le prouver encore davantage, tout seul, dans deux miraculeux bis extraits des Kinderszenen de Schumann, «L’enfant s’endort», puis «Le poète parle».


Foutraque, le premier mouvement de la Sixième Symphonie de Bruckner (répétée comment? A quel niveau d’approfondissement?), l’est notablement. D’abord l’écriture est gauche, mais là on laissera les brucknériens argumenter du bien-fondé de la démarche, mais surtout l’orchestre s’éparpille, perd de sa superbe face à un chef qui laisse tout le monde au milieu du gué. Les cordes scient imperturbablement du bois sans se laisser trop déconcerter, mais la petite harmonie nage. Bruckner nous aura rarement paru aussi expérimental. Un happening qui a aussi ses bons côtés, dans un Adagio très habité, où un véritable climat s’installe. Pour le reste, les Münchner Philharmoniker nous auront paru en bonne forme ce soir, en formation à nouveau normale et «démasquée», en cette ère post-COVID où tous les orchestres pansent leurs plaies. Cela dit flûte, hautbois et clarinette ont des timbres plutôt éteints. En revanche, le cor solo du jeune Chilien Matías Pineira est toujours aussi beau.



Laurent Barthel

 

 

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