About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

«Prima la Musica, dopo le parole»

Paris
Pan Piper
09/12/2021 -  



B. Furrer (© David Furrer)




Paul Méfano : Ondes, espaces mouvants
Matteo Cesari (flûte), Jean-Marc Liet (hautbois), Bogdan Sydorenko (clarinette), Médéric Debacq (basson), Pierre Remondière (cor), Siméon Vinour-Motta (trompette), Louise Ognois (trombone), Hélène Colombotti, David Mengelle (percussions), Léo Marillier, Mathilde Lauridon (violons), Léo Margue (direction)


Point d’orgue à cette deuxième édition du Festival Ensemble(s), la soirée de dimanche donne à entendre les cinq formations (2e2m, Court-circuit, Sillages, Multilatérale et Cairn) réunies pour deux concerts dont le premier se veut un hommage à Paul Méfano (1937-2020).


Que le compositeur, chef d’orchestre, pédagogue et fondateur de 2e2m ait beaucoup œuvré pour la création n’est pas une révélation. Par-delà les témoignages émouvants de Laurent Martin et Bernard Cavanna au micro de Corinne Schneider, on regrettera une première partie déséquilibrée, où la place prise par les commentaires et autres documents d’archives audio aux dépens de la musique du maître font redondance avec la belle émission (disponible à la réécoute sur le site de la chaîne) que France Musique avait consacrée à Méfano au moment de sa disparition.


Aussi aurait-on volontiers réécouté derechef le compendieux Ondes, espaces mouvants (à ne pas confondre avec Timbres, espace, mouvement d’Henri Dutilleux)! Cette pièce de 1974 marque un tournant dans la trajectoire de Paul Méfano, qui répartit les instruments selon une topographie précise – eu égard à la taille des lieux, la spatialisation est ici renforcée par des haut-parleurs: un trio de bois placé à gauche au-devant de la scène, un groupe de cuivres et une timbale en fond de scène, puis deux violons (le plus souvent sourds aux injonctions du groupe) placés dans la salle. L’autre caractéristique, d’ordre harmonique, réside dans la série en quarts de ton qui régit l’architecture globale. Clin d’œil à Ivan Wyschnegradsky (1893-1979), partisan résolu de l’infrachromatisme, que Mefano défendit et enregistra?


L’âpreté voulue des modes de jeu et des sonorités graves (clarinette contrebasse, contrebasson) ne nuit pas aux vertus d’envoûtement de cette partition comptant parmi les plus inspirées de Méfano. Les mélopées des bois, auxquelles répondent en écho les cuivres équipés de sourdine bientôt rejoints par les scansions des timbales, revêtent une tonalité tragique qu’accentue l’isolement des cordes. Comme le précise le compositeur, «cette pièce, quelles qu’en soient les qualités esthétiques, a pour principal mérite de donner corps à une musique qui ne soit ni descriptive, ni biographique, mais entendue et conçue dans une solitude réelle». Au pupitre, on retrouve l’excellent Léo Margue, familier de l’œuvre de Méfano – nous l’avions entendu notamment lors du dernier festival Présences dédié à Pascal Dusapin: ses gestes ronds et gracieux incantent plus qu’ils ne dirigent les sons.


Demian Rudel Rey : Argos Panoptes (création) (*)
Beat Furrer : Still

Matteo Cesari (flûte), Jean-Marc Liet (hautbois), Bogdan Sydorenko (clarinette), Médéric Debacq (basson), Juliette Herbet (saxophone), Siméon Vinour-Motta (trompette), Louise Ognois (trombone), Hélène Colombotti, David Mengelle (percussions), Jean-Marie Collet (piano), Léo Marillier, Mathilde Lauridon (violons), Cécicle Brossard (alto), Elisa Huteau (violoncelle), Didier Meu (contrebasse), Gonzalo Bustos (*), Jean Deroyer (direction)

L’œuvre de Demian Rudel Rey (né en 1987) accroche des sourires sur toutes les lèvres tant les interprètes y font assaut d’humour... et d’énergie: en branchant une dynamo sur chacun d’eux, vous obtiendriez la solution au problème de l’énergie! On apprend, surpris, que la mort constitue l’inspiration première, mais c’est compter sans la part de mystère à l’origine de toute création, et la volonté délibérée du compositeur argentin de déjouer les attentes. Si mort il y a, elle s’inscrit en creux de la partition, qui charrie avec elle telle figure-griffe de Piazzolla ou tel rythme de tango que troublent toute une panoplie de textures saturées. La superposition de plusieurs couches rythmiques en suractivité donne par endroits le sentiment d’entendre des sections ad libitum, mais le chef Gonzalo Bustos n’abdique jamais ses prérogatives. Un coup d’œil jeté à la biographie de Demian Rudel Rey, où figurent ses maîtres, met en évidence les influences dont témoigne Argos Panoptes (allusion au géant mythologique aux cent yeux qu’on retrouve dans le poème Caída d’Alejandra Pizarnik ayant la mort comme thématique principale): Yann Robin, Martín Matalon, Philippe Hurel, Franck Bedrossian, auxquels il convient d’ajouter la musique populaire de son pays natal. Aussi bien sa création brille de toutes ces pièces rapportées sans qu’une réelle unité stylistique ne parvienne à se dégager – une partition pour grand orchestre actuellement en chantier devrait nous en apprendre davantage sur cet artiste à suivre.


Le Suisse Beat Furrer (né en 1954), lauréat du prestigieux prix Ernst-von-Siemens en 2018, joue à sa manière avec la perception de l’auditeur: Still (1998) renvoie tout d’abord à la notion d’arrêt mais aussi à celle de silence: «... une surface infiniment énergique (bruit coloré) – l’idée d’un disque métallique tournant silencieusement à grande vitesse...». On ressort impressionné par la performance des musiciens, leur capacité à créer ce continuum sonore versicolore aux dynamiques savamment dosées malgré la gestique très saccadée de Jean Deroyer. Still partage avec la pièce de Rudel Rey cette énergie irrépressible, à ceci près que celle-là travaille sur des textures cousu main, quand celle-ci semblait user d’objets manufacturés. Si Boulez et Ligeti savaient eux aussi jouer sur plusieurs niveaux de ressenti en se référant respectivement au «temps lisse» et «temps strié», et au concept (emprunté à Popper) de «nuages» et d’«horloges», Furrer invoque Bergson et la perception du «temps durée» et du «temps espace», d’où découle directement la dramaturgie singulière de sa pièce. De quoi refermer en beauté ce troisième et dernier temps du festival qu’on se réjouit de retrouver la saison prochaine pour une nouvelle édition.


Le site du Festival Ensemble(s)
Le site de Demian Rudel Rey
Le site de Beat Furrer
Le site de Jean Deroyer



Jérémie Bigorie

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com