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Muti débutant !

Salzburg
Grosses Festspielhaus
08/13/2021 -  et 15, 16* août 2021
Ludwig van Beethoven : Missa solemnis, opus 123
Rosa Feola (soprano), Alisa Kolosova (alto), Dmitry Korchak (ténor), Ildar Abdrazakov (basse)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Ernst Raffelsberger (chef de chœur), Wiener Philharmoniker, Riccardo Muti (direction)


R. Muti (© Salzburger Festspiele/ Marco Borrelli)


La Missa solemnis de Beethoven reste un monument intimidant, même pour des chefs chevronnés, qui savent tous que s’y confronter sans préparation expose à de vraies déconvenues. Et puis d’ailleurs, même bien préparé, le résultat peut ne pas être d’emblée à la hauteur des attentes.


Lors de ces trois concerts donnés à guichets fermés au Grosses Festspielhaus de Salzbourg, Riccardo Muti fait un peu les frais de cette règle. Le programme de salle nous rappelle qu’Arturo Toscanini, lui aussi, a attendu très longtemps avant d’aborder la Missa solemnis, mais ce parallèle « italien » s’arrête là. Arturo Toscanini avait 66 ans lors de sa première tentative, au Carnegie Hall de New York en décembre 1940, avec une équipe vocale d’un format mythique (Zinka Milanov, Bruna Castagna, Jussi Björling et Alexander Kipnis). Et puis, en pleine période de guerre pour l’Europe, le moment était de toute façon d’une solennité toute particulière. Riccardo Muti, lui, vient de fêter ses 80 ans, et même si la pause récemment imposée par la crise sanitaire lui a permis de longuement étudier sa partition, l’heure pour les musiciens est plutôt à l’hédonisme post-confinement qu’à un profond recueillement. On ne sait pas de combien de répétitions Muti a pu disposer pour l’événement, mais il est certain que pour un ouvrage pareil, toutes les difficultés ne se peuvent pas se résoudre en amont à la table de travail. A un moment donné, il faut passer à la pratique, et même avec à disposition l’une des meilleures formations instrumentales et chorales au monde, le résultat n’est pas garanti.


En vieil amoureux du chant, et avec à disposition un quatuor soliste de grande qualité et un chœur bien étoffé d’environ soixante-quinze chanteurs, Muti paraît s’être occupé prioritairement des voix, à la fois dans la polyphonie, on le sait très touffue dans la Missa solemnis, et au cours des interventions solistes. On ressent une vraie recherche de lisibilité – au moins en ce qui concerne les lignes vocales, un peu moins pour la clarté du texte liturgique chanté – mais qui s’effectue au détriment d’un certain élan. Muti retient beaucoup, aide souvent, en particulier son pupitre de sopranos dans le terrible « Et resurrexit », mais du coup cette Missa devient particulièrement solemnis, au risque de se figer dans une religiosité italienne trop convenue.


Côté solistes, les ensembles sont dirigés comme à l’opéra, avec un beau sens de la complémentarité des lignes, voire de la dramatisation des répliques. Les relances sont judicieuses, et puis, bien sûr, les timbres sont assortis avec art : Rosa Feola aérienne, superbe soprano très lumineux, Alisa Kolosova plus opulente, en appui, et même complémentarité côté masculin, avec un Dmitry Korchak plutôt claironnant, et le confortable creux d’Ildar Abdrazakov comme soubassement. Mais là encore, l’ouvrage, même ciselé en petits détails, ne s’anime pas assez.


Et puis, à trop compter sur les facultés d’adaptation des Wiener Philharmoniker, qu’il connaît particulièrement bien, Muti oublié un peu vite que la Missa solemnis reste aussi très difficile pour les musiciens, même quand ils appartiennent à un orchestre d’élite. Depuis la salle, d’infimes décalages au sein de la petite harmonie, perceptibles dès l’introduction, incommodent par leur récurrence. A chaque fois presque rien, mais à force d’accumuler les riens, ça finit par faire beaucoup.


En revisionnant a posteriori cette Missa solemnis, telle qu’elle a été captée par les caméras, avec un Muti souvent vu de face, on comprend mieux pourquoi : quelques signaux rappelant çà et là à l’ordre sur certains détails de nuances, une gestuelle qui modèle beaucoup les phrasés, mais une battue rythmiquement peu calée, comptant trop sur l’élan d’ensemble. Rien à voir par exemple avec l’agitation sémaphorique d’un Kirill Petrenko, qui envoie en permanence des signaux très précis à tous les étages : une attitude peut-être moins élégante, mais une direction qui contrôle absolument tout. Et Petrenko, lui, a très bien réussi sa toute première Missa solemnis à Munich, en 2019, avec une foudroyante efficacité !



(© Salzburger Festspiele/Marco Borrelli)


Reste à se griser avec ce qui nous reste, et heureusement, il y a des compensations : les timbres somptueux de l’orchestre, la plénitude de la masse chorale, la beauté des voix solistes, la joie aussi d’écouter un ouvrage d’un tel format dans une salle comble, plaisir si rare en ce moment... Mais décidément, quel dommage que la continuité monumentale de la fresque n’y soit pas, juste de très beaux fragments, parfois sublimes, dont un ineffable Benedictus, où le violon solo de Rainer Honeck mais aussi le ton de recueillement général tiennent leurs promesses.


Fallait-il vraiment que Riccardo Muti ose ces débuts tardifs d’emblée à Salzbourg, alors qu’il aurait été peut-être plus prudent de roder discrètement cette Missa solemnis ailleurs. Ravenne, Ferrare... ? Du moins un quelconque contexte plus modeste, mais aussi plus propice, sur le vif, à un véritable approfondissement ?



Laurent Barthel

 

 

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