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Attention : peinture fraîche !

Bayreuth
Festspielhaus
07/29/2021 -  et 3*, 19 août 2021
Richard Wagner : Die Walküre
Tomasz Konieczny (Wotan), Lise Davidsen (Sieglinde), Klaus Florian Vogt (Siegmund), Christa Mayer (Fricka, Schwertleite), Dmitry Belosselskiy (Hunding), Iréne Theorin (Brünnhilde), Stephanie Houtzeel (Waltraute), Kelly God (Gerhilde), Daniela Köhler (Helmwige), Brit-Tone Müllertz (Ortlinde), Nana Dzidziguri (Siegrune), Marie Henriette Reinhold (Grimgerde), Simone Schröder (Rossweisse)
Orchester der Bayreuther Festspiele, Pietari Inkinen (direction)
Hermann Nitsch (artiste actionniste), Peter Younes (lumières)


(© Enrico Nawrath)


En 2020, Bayreuth avait été quasiment le premier festival à jeter l’éponge, en prenant dès avril la décision de renoncer à toute programmation pour l’été. Et cette année on s’attendait aussi au pire, les incertitudes ayant pesé longtemps, en grande partie tributaires de décisions régionales qui tardaient à venir. En effet, décentralisation allemande oblige, chaque Etat fédéral reste souverain quant à ses décisions en matière sanitaire, et la Bavière est réputée frileuse sur le sujet.


En définitive, prévalent les mêmes règles que dernièrement au Festival de Munich. Disposition du public « en cases d’échiquier », donc quatre places laissées libres autour de chaque personne assise, et « pass sanitaire » strictement appliqué, sous masque hermétique de rigueur. Du côté des artistes et du personnel les contraintes de dépistage sont également fortes, à tel point qu’on parle cette année en coulisses plutôt de Bayreuther Testspiele. L’orchestre, évidemment invisible dans « l’abîme mystique », est annoncé comme absolument complet, sans restrictions d’effectif, en revanche pour les chœurs, le système est beaucoup plus compliqué. Pour assurer des mises en scène visuellement intactes, il faut que l’effectif choral soit intégralement présent tous les soirs, mais scindé en deux groupes : soixante-dix choristes qui chantent vraiment, dans une vaste salle non loin de là, et dont le son est rediffusé sur la scène en temps réel, et soixante-dix autres choristes présents sur scène, qui jouent en costumes, mais ne chantent pas, ou du moins font semblant. Ce pourrait être ridicule, et pourtant cela fonctionne, au point même qu’on peut ne pas s’apercevoir de la supercherie, tant le procédé est techniquement abouti. Cela dit, confronté à nos multiples souvenirs des chœurs de Bayreuth, le résultat reste quand même en deçà, mais sans qu’une réelle frustration puisse s’installer.


Prévue en 2020, la nouvelle Tétralogie, mise en scène par Valentin Schwarz et dirigée par le jeune chef finlandais Pietari Inkinen, n’a pas pu être simplement décalée d’un an. L’ensemble est reporté à 2022, la période actuelle restant cependant mise à profit pour répéter déjà très activement tout ce qu’il est possible de mettre en place, tant scéniquement que musicalement. En attendant, pour patienter, La Walkyrie est proposée cet été en version de concert, pour trois soirées. En fait pas tout fait une simple version de concert, puisque le projet comporte aussi une partie visuelle, confiée au peintre Hermann Nitsch.


Il faudrait des pages et des pages pour présenter le personnage tout à fait étonnant qu’est l’artiste autrichien Hermann Nitsch, qui vient d’ailleurs saluer à la fin de cette représentation, soutenu avec déférence par Wotan : un impressionnant gourou de 82 ans, à la longue barbe blanche, voûté, appuyé sur une béquille, malheureusement copieusement hué par un public qui s’attendait peut-être à un spectacle d’une autre nature. Pour mieux apprécier, il aurait sans doute mieux valu que ces bougons aillent se renseigner un peu mieux auparavant sur Nitsch, artiste phénoménal. L’actionnisme viennois, les sessions de Théâtre des Orgies et Mystères (sic), sanglants rituels bachiques qui durent six jours entiers dans un château de Basse-Autriche : tout un folklore incroyable, qui pourrait n’être qu’une farce géante et pourtant aboutit à des résultats esthétiques souvent étonnants, toutes controverses dépassées. Archaïque et provocateur, musicien, peintre, homme de théâtre, Nitsch approfondit depuis soixante ans le même sillon, terrien, primitif, dans lequel se vautrent les corps d’actionnistes dénudés, arrosés de flots de sang animal et de peinture… Personnellement, en cette période moderne devenue si terriblement normative et bien pensante, on achète !



(© Enrico Nawrath)


En l’occurence, ici, derrière les chanteurs, alignés à l’avant-scène, tous vêtus de la même longue robe noire, et auxquels on laisse improviser scéniquement leur Walkyrie habituelle, l’équipe d’actionnistes de Nitsch va déverser quatre heures durant des quantités astronomiques de pots de peinture, sur d’immenses toiles blanches. En quelque sorte un tableau abstrait géant, qui se modifie à vue, au gré des flaques et dégoulinures de couleurs franches qui se superposent successivement. Même progression pour chaque acte : un blanc immaculé au début, et tout de suite l’envoûtement coloré commence. C’est à la fois plastiquement toujours intéressant, voire splendide à certains moments éphémères, du moins si l’on admet qu’on n’assiste bien qu’à une version de concert, en quelque sorte « complétée » par une performance picturale. En revanche, pour qui s’attendrait à une véritable mise en scène, le systématisme du procédé peut vite paraître mortellement ennuyeux. Autre inconvénient : d’innombrables « splash », audibles à chaque fois qu’une nouvelle gerbe de peinture s’abat sur le sol, encore que les collaborateurs de Nitsch sachent se calmer lors de tous les passages musicaux proches du silence.



(© Enrico Nawrath)


Distribution typiquement bayreuthienne, plutôt bien équilibrée. Iréne Theorin n’est certes pas la Brünnhilde de nos rêves mais ses aigus sont justes, à défaut d’une véritable autorité. Remplaçant Günther Groissböck en dernière minute, Tomasz Konieczny n’a pas non plus la plus belle voix du monde, mais son Wotan, déjà bien expérimenté, réussit de belles narrations. Le rôle est assez fouillé psychologiquement, mais peut-être d’une fragilité trop humaine : le format d’un dieu n’y est que rarement. Petite déception aussi avec Dmitry Belosselskiy, formidable dans le répertoire russe, mais dont le Hunding paraît un peu engoncé. En revanche, la Fricka de Christa Mayer est une irrésistible mégère, et puis le couple Siegmund-Sieglinde mérite le voyage. Réputé ténor wagnérien à tout faire, à l’exception de Siegfried, qu’on espère qu’il ne chantera jamais, et de Tristan, que l’on rêve de le voir oser un jour, Klaus Florian Vogt continue à se bonifier en vieillissant. Son Siegmund est rayonnant, poétique, beaucoup plus en sensibilité qu’en muscles, mais constamment captivant. Et puis avec lui, on comprend absolument chaque mot, ce qui dans Wagner est quand même assez extraordinaire. Quant à la Sieglinde de Lise Davidsen ! Une voix d’un naturel sublime, d’une projection dramatique jamais forcée, et une maturité exceptionnelle pour une artiste encore aussi jeune. Et puis ce soir, mise en valeur par sa robe noire et sa coiffure plate toute simple, Davidsen a la beauté irradiante d’une madone de Giovanni Bellini. Inutile de préciser qu’au final l’applaudimètre explose !


Seul énorme problème : l’orchestre. Après une années d’absence du lieu, on se demande même si on n’est pas victime d’une subite perte d’acuité auditive, tant tout ce qui sort de la fosse paraît insignifiant, sans corps, sans volume, invertébré... Là il n’est plus question simplement de recherches de transparence, ou d’un effacement prudent derrière les voix, mais d’un véritable problème de conception. Ce ne serait pas la première fois que l’acoustique de Bayreuth se révèlerait traîtresse pour un nouveau venu (Solti ou Gergiev en ont aussi fait les frais), mais si Pietari Inkinen dirige encore tout le Ring avec autant de circonspection l’année prochaine, on risque d’y trouver le temps très long.



Laurent Barthel

 

 

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