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Au bout d’un fil

Bregenz
Seebühne
07/22/2021 -  et 23, 24, 25, 27, 28, 29, 30, 31 juillet, 1er, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 12, 13, 14, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 22 août 2021
Giuseppe Verdi : Rigoletto
Scott Hendricks/Juan Jesús Rodríguez/Daniel Luis de Vicente/Vladimir Stoyanov* (Rigoletto), Stacey Alleaume/Hila Fahima/Ekaterina Sadovnikova* (Gilda), Long Long*/Pavel Petrov/Ovidiu Purcel (Il Duca di Mantova), Levente Páll*/Miklós Sebestyén (Sparafucile), Rinat Shaham/Katrin Wundsam* (Maddalena, Giovanna), Jordan Shanahan/Kostas Smorigina* (Il Conte di Monterone), Ilya Kutyukhin/Wolfgang Stefan Schwaiger* (Marullo), Taylan Reinhard/István Horváth* (Borsa), Jorge Eleazar*/David Ostrek (Il Conte di Ceprano), Shira Patchornik*/Sarah Yang (La Contessa di Ceprano), Hyunduk Kim*/Jongyoung Kim (Un paggio della Duchessa)
Prager Philharmonischer Chor, Bregenzer Festspielchor, Lukás Vasilek, Benjamin Lack (chefs de chœur), Wiener Symphoniker, Julia Jones*/Daniel Cohen (direction musicale)
Philipp Stölzl (mise en scène, décors, lumières), Heike Vollmer (décors), Kathi Maurer (costumes), Georg Veit (lumières), Olaf A. Schmitt (dramaturgie)


(© Karl Forster)


Le Festival de Bregenz, qui avait dû renoncer quasiment à toute activité l’été dernier, pour cause de restrictions drastiques de jauge de public, rendant impossible l’équilibre financier de la manifestation, a pu en revanche recommencer à fonctionner normalement cette année. Avec principalement deux productions d’opéra, celles qui étaient initialement prévues pour 2020 : le rarissime Nerone d’Arrigo Boito, dans une mise en scène flamboyante d’Olivier Tambosi, et la reprise du Rigoletto de Philipp Stölzl, déjà présentée sur la Seebühne lors d’une longue série en 2019. Particularité exceptionnelle dans l’histoire du festival : le décor de ce Rigoletto en plein air, quasiment indémontable, aura donc dû résister, non pas aux intempéries d’un seul hiver, mais de deux. Et il en est sorti tout à fait intact.


En 2019, 180 000 spectateurs avaient pu voir l’ouvrage de Verdi : un chiffre qui fait rêver ! En 2021, le conditions climatiques annoncées paraissent malheureusement moins favorables, mais du moins, pour l’instant, il n’est pas prévu que le contexte pandémique ait la moindre incidence sur le remplissage. Les normes autrichiennes récentes sont en effet audacieuses, politique du « pass sanitaire » appliquée à la lettre et poussée au bout de sa logique. Que ce soit dehors, sur la Seebühne pour Rigoletto, ou à l’intérieur du Festspielhaus, pour Nerone, on n’est admis que complètement vacciné ou fraîchement testé, mais après le passage d'un contrôle rigoureux tout redevient normal. Remplissage de la salle à 100 %, pas de masques, orchestre pléthorique dans la fosse, chœurs en mêlées serrées sur le plateau : l’opéra comme au bon vieux temps... Et après un petit moment d’appréhension, voilà qui fait un bien fou ! Cela dit, l’état de grâce n’aura guère duré, une spectatrice du Rigoletto du 30 juillet, pourtant vaccinée, ayant été testée positive deux jours plus tard. Sans grand dommage, mais avec quand même un retour à l’obligation du masque en intérieur.


Même s’il ne s’agit pas de l’une des meilleures productions sur le lac à Bregenz (places occupées à notre avis par l’Andrea Chénier de Keith Warner en 2011/2012 et la Carmen de Kasper Holten en 2017/2018), ce Rigoletto reste un exploit très spécifique. A la fois technique, la machinerie de scène atteignant ici un degré de sophistication inédit (et les coûts astronomiques qui vont avec : 8 millions d’euros pour concevoir et construire le dispositif !), mais aussi conceptuel. Ici il n’est pas juste question d’opéra conventionnel sur une scène flottante, mais bien de réinventer complètement le genre, dans un milieu qui autorise des formats hors normes. Pour Rigoletto, la trouvaille essentielle de Philipp Stölzl est cette gigantesque tête de clown/bouffon qui émerge du lac (un peu moins cet été, le niveau de l’eau étant exceptionnellement haut, suite à une pluviosité record) et dont tous les éléments bougent grâce à un système complexe de vérins hydrauliques commandés par ordinateur. L’ensemble est extraordinairement expressif dans ses mouvements, tout le décor pouvant ainsi devenir à l’envi agressif, pathétique, accablé, voire à la fin, détruit... comme le personnage principal. Ce sont essentiellement ces images-là que l’on en gardera, davantage que celles des péripéties qui se déroulent à l’échelle humaine en bas, où les références constantes à l’univers du cirque sont un peu répétitives et manquent de substance. L’idée, de surcroît, est empruntée, sans d’ailleurs l’avouer, à Robert Carsen, ici largement pillé.


Sur la Seebühne, on prévoit systématiquement trois titulaires pour chaque rôle, alternance qui permet de pouvoir parer en urgence à la moindre défection. Et les castings incluent aussi quelques contraintes particulières : savoir nager (aptitude dûment vérifiée sur place), ne pas avoir le vertige, ne pas avoir peur de l’humidité (chanter sous une pluie fine, entêtante, voire glacée, n’est pas exceptionnel) etc. L’amplification des voix modifie aussi les rapports avec le public, voire la façon même de chanter, en forçant moins. Donc, ici, de toute façon, on ne va pas juger une distribution de la même manière que sur une scène conventionnelle. Toute appréciation devient relative. On a par exemple l’impression – en cette soirée de première, donnée heureusement par temps sec, l’orage lyrique du dernier tableau se doublant ici d’inquiétants éclairs véritables, mais qui heureusement restent au loin – que le ténor chinois Long Long est un Duc de Mantoue intéressant, à l’aigu facile mais trop réservé et bien élevé pour un débauché. Le Rigoletto de Vladimir Stoyanov, déjà entendu ici lors de la première de 2019, est toujours aussi routinier mais fait correctement son travail. La Gilda de la la soprano russe Ekaterina Sadovnikova est d’une robustesse vocale relativement conventionnelle mais elle accomplit sans broncher toutes les figures imposées par la mise en scène, dont chanter l’air « Caro nome » à cheval sur le rebord d’une nacelle, avec une jambe dans le vide, sous une montgolfière qui monte à 15 mètres au-dessus de la surface du lac. Ce moment « suspendu » est d’ailleurs le plus émouvant de la production, avec toute la tête géante du bouffon en train de couver du regard ce personnage de Gilda, tenu en quelque sorte au bout d’un fil.


Pendant ce temps, l’orchestre joue au sec, à l’intérieur du Festspielhaus (en matière de délocalisation des sources sonores, Bregenz aura finalement joué depuis longtemps un rôle de pionnier, bien avant que la crise du coronavirus impose à d’autres scènes ce type de casse-tête électronique). En l’occurrence, le système est bien rôdé, voire se perfectionne d’année en année. Il est suffisamment fidèle en tout cas pour que l’on puisse apprécier de vraies différences en fonction de celui, ou celle, qui dirige. En 2019, Enrique Mazzola était non seulement précis mais ménageait de vrais instants de lyrisme. Un résultat que cette année Julia Jones, peut-être encore insuffisamment rompue aux subtilités du système, n’a pas réussi à approcher, s’en tenant à une lecture plus basique, mais sans accroc.



Laurent Barthel

 

 

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