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Cursus honorum

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Peralada (Eglise du Carme)
07/24/2021 -  
Ernest Chausson : Poème de l’amour et de la mer, opus 19
Giuseppe Verdi : Macbeth: «O figli, O figli miei... Ah, la paterna mano»
Ildebrando Pizzetti : I pastori
Pitro Ilytich Tchaïkovski : Eugène Onéguine, opus 24: air de Lenski
Charles Gounod : Faust : «Salut, demeure chaste et pure» – Roméo et Juliette: «Ah! lève-toi, soleil!»

Benjamin Bernheim (ténor), David Zobel (piano)


D. Zobel, B. Bernheim (© Miquel González)


Ce 24 juillet, Benjamin Bernheim poursuit sa course vers les sommets en faisant ses débuts au festival de Peralada, qui a précédemment accueilli Jonas Kaufmann, Joseph Calleja et Javier Camarena ou Klaus Florian Vogt comme ténors invités de prestige. Pour négocier cette importante étape dans une carrière déjà brillante, il s’est assuré les services du pianiste français David Zobel, avec lequel il a élaboré un programme équilibré et ambitieux, entre cycles mélodiques français et italien d’un côté, et airs d’opéra italien, russe et français de l’autre.


L’idée d’introduire son récital avec la version pour ténor et piano du célèbre Poème de l’amour et de la mer de Chausson est ambitieuse et risquée, beaucoup d’auditeurs ayant en tête les versions pour orchestre gravés par des mezzos et sopranos. Mais l’œuvre ayant été créée pour piano et ténor, le jeu en valait la chandelle, dans la mesure où les textes des poèmes de Maurice Bouchor correspondent à un protagoniste masculin (Florian Sempey l’a chanté d’ailleurs récemment à Gaveau et à Lille avec le même pianiste). L’unité de l’œuvre évite le morcellement habituel des récitals, installant une durable concentration du public en début de parcours. La parfaite diction du ténor (avec ses r naturels), la suavité de son timbre, son intense legato, la pureté de son émission et la longueur de son souffle créent une atmosphère délicatement poétique, épousant les métaphores un peu attendues de Bouchor («Brise qui vas chanter dans les lilas en fleur», «Et je saigne, silencieux, En regardant briller les cieux»). Assez rapidement, le ténor français prend la mesure de la salle, relativement intime, usant d’une grande palette de dynamiques, faisant valoir un médium large et d’un beau métal, jusqu’à un aigu plein et admirablement focalisé («et le vent moqueur»), ainsi qu’un pianissimo nourri, soutenu et transparent («l’oubli»). La dernière phrase, chantée sans affectation («Le temps des lilas et le temps des roses Avec notre amour est mort à jamais») clôt le cycle avec délicatesse, sans emphase.


Le rare cycle I pastori de Pizzetti, sur des vers de Gabriele D’Annunzio, permet de quitter un temps la langue française, tout en restant dans une thématique proche de l’opus de Chausson, et dans un ton mélancolique et contemplatif, par moments presque monastique de style dans des vocalises légères et par ailleurs recueilli, grave.


Le public s’échauffe avec l’air de Macduff, curieusement placé entre Chausson et Pizzetti, qui permet à Bernheim de sculpter plus la diction, et de montrer sa capacité à incarner un personnage éperdu, désespéré, dès le récitatif, puis d’exprimer le flot d’émotions contradictoires de Macduff du fortissimo éclatant («le braccia») au troublant diminuendo («del tuo perdono»). Le timbre se concentre alors, passant d’argenté à doré. Puis le ténor éblouit le public en incarnant un Lenski vibrant et émouvant, grâce à un legato de rêve et des messe di voce magnifiquement dosées, sur la longueur de souffle, l’acteur rejoignant le chanteur dans une incarnation époustouflante: c’est comme si on entendait pour la première fois ces phrases, tant il se les approprie, variant à l’envi les couleurs sur les répétitions finales de «kuda», l’aria s’éteignant comme une prière sans réponse, en apesanteur.


Le ténor peut alors aborder les airs d’opéra français, où il est très attendu: la cavatine de Faust, encore très investie dramatiquement, finement incarnée, le regard au loin, les bras ouverts, avec des colorations exquises, et des jeux de dynamique idéalement maîtrisés, jusqu’à l’ut en falsetto. Ce falsetto, discrètement présent dans le cycle Pizzetti comme dans l’air de Lenski («pridyosh»), devient cependant un peu envahissant dans le rêve de Des Grieux, qu’on préférait en voix mixte comme à Bordeaux. Enfin, l’air de Roméo permet un retour à plus d’ardeur, avec un style toujours pur et des aigus superbes, pleins et lumineux, excitants, comme l’ut conclusif, donné ici fortissimo.


Cette fois, le public exulte et obtient deux bis: «Morgen» de Strauss, délicat et automnal, que le ténor finit les yeux fermés, et la chanson de Kleinzach des Contes d’Hoffmann, qu’il incarnera bientôt sur scène à Hambourg, air dans lequel il varie les sentiments et intentions encore sur les répétitions de mots, avec une longueur de souffle impressionnante, et finissant sur un aigu éclatant.


Remarquablement épaulé par un David Zobel discret mais capable de multiplier les couleurs et de créer des atmosphères tantôt mélancoliques ou martiales, le ténor français semblait soulagé à la fin de son programme, ce que trahit un geste de la main sur le front: l’enjeu était important, et la réussite est indéniable. L’église du Carme, malgré son acoustique difficile, a encore accueilli un récital mémorable.



Philippe Manoli

 

 

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