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Retour d’un chef-d’œuvre Bordeaux Opéra 06/29/2021 - et 30 juin, 1er, 2, 4*, 5, 6, 7, 8 juillet 2021 Blanche-Neige Angelin Preljocaj (chorégraphie, vidéographie), Gustav Mahler (musique), 79D (musique additionnelle)
Diane Le Floc’h/Alice Leloup* (Blanche-Neige), Neven Ritmanic/Oleg Rogachev* (Le Prince), Nicole Muratov (La Reine), Anna Guého (Reflet de la Reine), Pascaline Di Fazio (La mère), Alvaro Rodriguez Pinera (Le Roi), Ballet de l’Opéra national de Bordeaux, Eric Quilleré (directeur de la danse)
Thierry Leproust (scénographie), Jean-Paul Gaultier (costumes), Patrick Riou (lumières)
(© Jean-Claude Carbonne)
Depuis sa nomination fin 2017 comme directeur de la danse de l’Opéra national de Bordeaux, Eric Quilleré a engagé un partenariat avec Angelin Preljocaj (né en 1957) afin de faire découvrir plus encore le travail du grand chorégraphe français. Avant la très attendue création mondiale de Mythologies, prévue dans un an tout juste sur une musique de Thomas Bangalter, place à l’un de ses plus parfaits chefs-d’œuvre,Blanche-Neige (2008). Déjà présenté à Bordeaux en ouverture de saison 2018, ce ballet s’est imposé d’emblée à sa création à la Biennale de la danse de Lyon, occasionnant une captation en version réduite pour Arte et l’édition d’un DVD par mk2 éditions (2010).
Adaptée du conte des frères Grimm, à l’instar du film homonyme de Walt Disney, la trame du ballet reprend les principales péripéties de cette histoire bien connue, en y apportant d’emblée une touche plus sombre avec la lente agonie de la mère de Blanche-Neige. Cette scène, sans doute un peu trop longue, contraste avec la suite, toujours très rythmée et inventive dans ses partis pris visuels épurés, qui font la part belle à des lumières en clair-obscur, autour d’une scénographie où le noir domine. Les splendides costumes de Jean-Paul Gaultier n’en ressortent que davantage, avec l’adjonction de toute une série de détails dont le créateur a le secret, des coutures apparentes aux bretelles, en passant par bérets et crinolines. Les costumes savent aussi gagner en légèreté et transparence pour donner une touche sensuelle aux scènes où le désir domine, sans jamais tomber dans la vulgarité.
Particulièrement impressionnante, l’entrée de la Reine permet à Nicole Muratov de se jouer de ses périlleux talons aiguilles, tout comme d’une robe fendue en forme de traîne; sa danse vénéneuse donne beaucoup de caractère au personnage, rappelant l’adage fameux: «plus le méchant est réussi, plus réussi sera le film». A l’attendu miroir qui permet à la Reine de danser avec son double succèdent d’autres visions marquantes comme celle des sept nains grimés en mineurs, escaladant en un ballet hypnotique un mur avec l’aide de leurs cordes de rappel. La poésie délicate de la Blanche-Neige incarnée par Alice Leloup, toute de fragilité diaphane, permet une opposition saisissante d’intensité dans la scène de la pomme, où la Reine traîne sa rivale comme un pantin décharné. De même, en fin de soirée, l’idée de faire danser le Prince avec la morte bouleverse, le tout sur les notes tout aussi tragiques de l’Adagietto de la Cinquième Symphonie de Mahler.
En dehors des brefs interludes de musique électronique, tour à tour vaporeux et nerveux dans l’utilisation de bruitages en scansion, la musique des symphonies de Mahler (toutes entendues, à l’exception de la Septième) donne beaucoup de saveur au spectacle. A l’instar du ballet consacré à la Troisième Symphonie de Mahler par John Neumeier, la musique du maître autrichien semble avoir été écrite pour décrire la variété des atmosphères de cette histoire, donnant à entendre tout l’écho de la nature en majesté (aux coloris irrésistibles dans la Quatrième Symphonie notamment), comme des aspects populaires dansants (dont la chanson enfantine Frère Jacques, citée par la marche funèbre de la Première Symphonie), sans parler des cris déchirants du pathos mahlérien, dans les Deuxième et Sixième notamment. Même si l’on peut regretter que ces extraits ne soient donnés qu’en bande-son enregistrée, le plaisir de redécouvrir ce vaste corpus symphonique, jusqu’aux confins plus audacieux de la Dixième, résonne encore longtemps dans les oreilles à l’issue de la représentation.
Florent Coudeyrat
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