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Métamorphoses bouléziennes Paris Cité de la musique 07/02/2021 - Pierre Boulez : Anthèmes 2 (création de la version pour alto) – Répons Odile Auboin (alto), Samuel Favre (vibraphone), Gilles Durot (xylophone), Françoise Rivalland (cymbalum), Valeria Kafelnikov (harpe), Dimitri Vassilakis, Sébastien Vichard (piano), Andrew Gerzso, Augustin Muller (réalisation informatique Ircam)
Ensemble intercontemporain, Matthias Pintscher (direction)
(© Quentin Chevrier)
Ce concert de clôture de la deuxième Biennale Pierre Boulez et du festival ManiFeste donne à entendre l’emblématique Répons, jumelé avec une création posthume: la version pour alto d’Anthèmes 2, complétée en 2008.
A l’instar de Dialogue de l’ombre double (1985) transcrit pour basson à la demande de Pascal Gallois en 1995, Anthèmes 2 (1997) joué à l’alto n’est ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, pour reprendre la définition de la métamorphose ovidienne. Odile Auboin, qui travailla l’œuvre aux côtés du maître, précise que «le passage du violon à l’alto demande ainsi certaines adaptations»; de quel(s) ordre(s)? Intuitivement, ces adieux à la clé de sol semblent se traduire par un son plus épais, plus riche, aussi, en harmoniques impures. Ce qu’il perd en volubilité, le jeu le gagne en inflexions troubles et ténébreuses. Irisées, les arabesques typiques du style boulézien démultipliées par le dispositif électronique investissent à présent des pigments obscurs, sans que la trajectoire de l’œuvre – matérialisée sur scène par le parcours circulaire de la soliste placée au centre de plusieurs lutrins – ne perde en clarté. Que dire de la performance d’Odile Auboin, si ce n’est qu’elle agit comme une «recréation» en direct?
Donné dans la bien nommée Grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris en juin 2015 par les mêmes Ensemble intercontemporain (EIC) et Matthias Pintscher (disponible en vidéo sur YouTube), Répons avait laissé un souvenir éblouissant, le chef allemand pétrissant à pleines mains une matière certes volubile, mais accordée à l’acoustique moelleuse des lieux. Ainsi de la théâtrale entrée des solistes sur un accord arpégé, lequel s’éployait en majesté dans l’espace. Les volumes plus modestes et l’acoustique plus sèche de la Cité de la musique induisent une autre gestique de la part du chef. Depuis le parterre, juste derrière les musiciens et face à Mathias Pintscher, notre écoute s’est davantage focalisée sur la virtuosité du ripieno – pour reprendre les catégories du concerto grosso avec lequel Répons renoue délibérément: le bruissement des cordes, le jeu staccato et piano des cuivres équipés de sourdines et les interjections convulsées de trilles aux vents sont réalisés avec une maîtrise confondante par les musiciens de l’EIC, dont une poignée de vétérans (la flûtiste Sophie Cherrier, le corniste Jens McManama) avait assuré la création de la première version, en 1981. Pour autant, Répons – emblématique en cela de la poétique boulézienne – demeure une œuvre «in progress», que seule la mort du compositeur a fixée à un certain stade de son évolution.
Les six solistes du concertino (dispersés au premier balcon) se sont parfaitement appropriés les figures labiles en quoi abonde la partition; figures qu’ils ont licence d’interpréter avec une liberté agogique interdite aux membres de l’orchestre, soumis à des tempos plus contrôlés. Le dernier mot revient à l’électronique, qui voit l’éclatement en lambeaux du matériau musical –renforçant paradoxalement la cohésion de l’ensemble de l’œuvre – comme autant de traces laissées sur la toile de notre écoute. A mesure que l’éclairage se tamise et que les derniers sons s’évaporent, nous revient en mémoire cette réflexion de René Char souvent citée par Boulez: «Seules les traces font rêver».
Jérémie Bigorie
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