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Scandale à la cour

Paris
Athénée - Théâtre Louis-Jouvet
06/11/2021 -  et 28, 29 mai (Fribourg), 12, 17, 18* juin (Paris) 2021
Thomas Adès: Powder Her Face, opus 14
Sophie Marilley (Duchess), Graeme Danby (Hotel manager, Duke, Laundryman, Other guest), Timur (Electrician, Lounge lizard, Waiter, Priest, Rubbernecker, Delivery boy), Alison Scherzer (Maid, Confidante, Waitress, Mistress, Rubbernecker, Society journalist)
Orchestre de chambre fribourgeois, Jérôme Kuhn (direction musicale)
Julien Chavaz (mise en scène), Anneliese Neudecker (décors), Severine Besson (costumes), Eloi Gianini (lumières)


S. Marilley (© Magali Dougados)


Compositeur britannique parmi les plus en vue de nos jours, Thomas Adès (né en 1971) a signé un coup de maître au tout début de sa carrière avec son premier opéra Powder Her Face (1994). Autant le livret captivant que l’orchestration éblouissante permettent de comprendre rapidement pourquoi cet ouvrage a été repris largement depuis la création, par exemple à Gand en 2002 ou plus récemment à Bruxelles en 2015. L’Opéra de Tours avait confié une nouvelle production au metteur en scène Dieter Kaegi, malheureusement reportée en raison de la crise sanitaire.


En attendant, le Théâtre de l’Athénée a eu la bonne idée de s’associer à l’Opéra de Fribourg-en-Brisgau pour faire connaître plus encore ce bijou vénéneux, trop peu monté en France. Proche de Benjamin Britten dans sa capacité à tirer des sonorités surprenantes d’un ensemble de seulement quinze musiciens, l’orchestration de Thomas Adès convoque autant l’accordéon, le saxophone que les nombreuses percussions. Les influences musicales vont de Stravinski à Piazzolla, en passant par la musique de cabaret, souvent présente dans ses déhanchés fantasques et ses ruptures inattendues, tandis que le chant très varié s’adapte admirablement aux situations dramatiques, avec de nombreux passages traités à la manière de l’Ecole de Vienne.


C’est peut-être plus encore le passionnant livret de Philip Hensher qui force l’admiration, tant son exploration du destin tragique de la duchesse d’Argyll, l’une des femmes les plus belles et élégantes de son temps, étonne par sa profondeur et sa délicate attention: comment être heureux et trouver un but à sa vie lorsqu’on est riche? Comment résister à l’illusion que l’argent peut tout acheter, y compris l’affection?


Inconnu en France, le parcours atypique de Margaret Campbell fait scandale dans l’Angleterre puritaine des années 1960 lors d’un procès retentissant, avec ses frasques sexuelles révélées dans les moindres détails, du nombre d’amants (88) aux photos dénudées compromettantes. Volontairement concis et efficace, le livret évacue le rôle joué par les deux enfants issus du premier mariage de l’héroïne (qui la soutiendront dans sa déchéance) ou encore les nombreuses relations sexuelles avec des membres de la famille royale et du gouvernement. La capacité à jongler avec les différentes périodes, en de nombreux allers-retours dans le temps, donne une force constante au récit, construisant peu à peu la personnalité complexe de la scandaleuse duchesse. Parmi les dernières survivantes d’une époque révolue, Margaret Campbell fascine par sa capacité à aller de l’avant coûte que coûte, au mépris de toutes réalités pratiques, notamment financières.


Il revient à Julien Chavaz, décidément spécialiste des ouvrages contemporains britanniques (voir son travail dans L’Importance d’être Constant de Gerald Barry en 2019), de nous plonger dans l’univers mental tourmentée de l’héroïne: le choix du décor unique, bien revisité par des panneaux amovibles et un jeu subtil sur les éclairages, enferme symboliquement la duchesse dans une chambre dont elle ne semble jamais pouvoir sortir. Si ce parti pris donne à l’ouvrage une atmosphère de huis clos aussi étouffante que pertinente, elle laisse de côté la virtuosité des allers-retours dans le temps, tout en refusant de caractériser visuellement l’hilarante scène du procès. On se délecte tout du long du glamour des couleurs pastels et des poses lascives, à la manière du film Les Larmes amères de Petra von Kant de Fassbinder. Seule la direction d’acteur laisse quelque peu à désirer, laissant souvent les interprètes à eux-mêmes, à la limite du cabotinage par endroit.


Si l’Orchestre de chambre fribourgeois met un peu de temps à se chauffer, il emporte ensuite l’adhésion sous la baguette affûtée et dynamique de Jérôme Kuhn. Sur le plateau, les interprètes montrent un niveau global de haut niveau, tout particulièrement Alison Scherzer et son agilité vocale étourdissante sur toute la tessiture. A ses côtés, Sophie Marilley n’est pas en reste dans le brio, malgré un aigu parfois tonitruant, tout en parvenant à saisir la variété des états d’âme de la Duchesse au niveau dramatique. Le solide Graeme Danby s’impose dans les parties comiques, et ce malgré une voix de tête un peu timide dans l’extravagance, tandis que Timur donne à ses rôles multiples une aisance insolente de musicalité, tout autant que de présence physique.



Florent Coudeyrat

 

 

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