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Electrisante Patricia Kopatchinskaja

Paris
Maison de la radio et de la musique
06/18/2021 -  
Luca Francesconi : Corpo elettrico
Győrgy Ligeti : Volumina
Fausto Romitelli : Dead City Radio. Audiodrome

Patricia Kopatchinskaja (violon), Karol Mossakowski (orgue), Serge Lemouton (réalisation informatique Ircam)
Orchestre philharmonique de Radio France, Maxime Pascal (direction)


P. Kopatchinskaja (© Christophe Abramowitz)


Patricia Kopatchinskaja a beau être «artiste en résidence» à Radio France, jouer pieds nus sur scène relève chez elle du rituel. Il faut dire qu’elle ne manque ni de tempérament ni d’initiatives aventureuses, comme en témoignent sa discographie déjà abondante et ses nombreuses créations. C’est au tour de Luca Francesconi (né en 1956) de tomber sous le charme de la violoniste moldave, dont la «personnalité» a influencé le début de Corpo elettrico, «concerto pour violon électrifié, orchestre et électronique», proposé en première mondiale dans cadre du festival ManiFeste: soliloque ténébreux, aux inflexions tziganes, sur lequel se greffent çà et là quelques instruments (nombreuses doublures). Bien qu’étendu et agrémenté de trois petits groupes spatialisés (hélas pas toujours audibles depuis le parterre), l’orchestre privilégie un tissu dense mais transparent, auquel la direction équilibrée de Maxime Pascal offre un prolongement idoine. Avec ses confrontations (un contre tous) qui obéissent à une trame narrative soigneusement consignée par le compositeur dans la notice, l’œuvre renvoie au concerto romantique cependant que la seconde partie superpose une autre dramaturgie, sonore celle-ci, par le biais de l’électrification de la partie soliste – le dispositif prévoit pédales d’effets et sons fixés. L’atomisation des pupitres et l’exploitation spectrale de l’harmonie enchâssent le violon dans un espace où l’instrument se sent de plus en plus à l’étroit à mesure que les staccatos, joués avec le talon de l’archet, gagnent en véhémence. Si le langage de Francesconi prend sa source dans le style du dernier Berio (dont il fut l’assistant), son savoir-faire, sa science orchestrale et son ouverture à d’autres univers acoustiques ménagent une étonnante palette d’expression. On n’oubliera pas la fin, théâtrale, qui voit les derniers soubresauts mécaniques du violon comme cahoterait le corps sans tête d’un canard tout juste décapité.


Le ressenti de Volumina est ventral avant d’être auditif: on est confronté à un mur de sons vrombissants, avec ses graves sépulcraux qui vous tisonnent les entrailles; puis vient la seringue des aigus selon un mouvement de balancier entre les registres extrêmes dont est coutumière la musique instrumentale de Ligeti (1923-2006). Elle n’aura pourtant jamais sonné aussi proche de l’électronique. De là l’aspect à la fois fascinant et un peu daté de cette pièce de 1962 – à laquelle on préfère les deux subtiles Etudes pour orgue de 1967/1969. La partition est en réalité moins écrite contre l’orgue (dont elle exploite toute les virtualités sonores latentes) que contre l’organiste, sollicité de façon athlétique. Conjuguant la souplesse de l’anguille et la fulgurance de la torpille, les mains et les pieds de Karol Mossakowski balaient l’étendu du clavier et du pédalier à une vitesse vertigineuse. Et le grand orgue Grenzing de briller de tous ses feux.


Le programme se referme avec l’un des pères spirituels du mouvement saturationniste, Fausto Romitelli (1963-2004). Dead City Radio. Audiodrome (2003) nous a toutefois semblé moins révélateur de sa manière que ses pièces pour ensemble, à commencer par l’emblématique cycle Professor Bad Trip (1998-2000). Le geste (postmoderne) inaugural cite le début de la Symphonie alpestre de Richard Strauss, traité comme un échantillon, avec ses cordes divisées dans la nuances pianissimo sur la gamme de si bémol mineur. A la confusion de toutes les notes de l’octave en cluster répondent les diverses transformations que lui fait subir le compositeur au gré d’un parcours de plus en plus chaotique. Facilement repérable par sa verticalité tranchante, un accord balise différents épisodes où, en dépit des interférences et autres distorsions, le grand orchestre ne renonce jamais vraiment au son «philharmonique» (pour reprendre le lexique de Lachenmann). On se surprend même à y déceler des échos de Messiaen (celui d’Et exspecto resurrectionem mortuorum). Vers la fin, on retrouve l’un des principaux thèmes de l’Alpestre, subitement interrompu par le canal qui le transmet; le propos «critique» de Romitelli («Notre perception du monde est filtrée, voire créée par les canaux de transmission») éclate alors: le pouvoir de persuasion et la répression inflexible du média ont opéré. Un mégaphone imité par le trombone en sourdine laisse filtrer plusieurs «You are lost». Maxime Pascal, lui, ne s’est pas «perdu» dans la partition, dont il maîtrise chaque paramètre, scellant ainsi brillamment sa collaboration – qu’on espère pérenne – avec un Orchestre philharmonique de Radio France très en verve.


Le site du festival ManiFeste
Le site de Patricia Kopatchinskaja



Jérémie Bigorie

 

 

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