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Chostakovitch à l’heure lettonne München Philharmonie im Gasteig 06/03/2021 - et 4*, 5 juin 2021 Dimitri Chostakovitch: Concerto pour violon n° 2, opus 129 – Symphonie n° 9 en mi bémol majeur, opus 70 Baiba Skride (violon)
Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Andris Nelsons (direction)
B. Skride, A. Nelsons (© Astrid Ackermann)
Je me souviens avoir écrit des choses peu agréables sur Andris Nelsons, notamment après un premier concert à Baden-Baden où j’avais pu faire connaissance avec un certain scepticisme avec ce jeune chef propulsé beaucoup trop vite beaucoup trop haut. Mais dix ans ont passé et manifestement un vrai processus de maturation a fait utilement son œuvre. A fortiori dans la musique de Chostakovitch, dont Nelsons s’est fait une spécialité. On y découvre un chef précis, silhouette toujours conséquente et vêtue de noir, mais maintenant mieux stabilisée sur son centre de gravité, et qui semble avoir le plus souvent renoncé à faire de l’épate pour la galerie. Qu’il s’agisse d’accompagner scrupuleusement sa soliste d’un soir dans le Second Concerto pour violon, ou de déchaîner les tutti exubérants de la Neuvième Symphonie, on observe un chef avant tout préoccupé d’assurer une certaine qualité de mise en place, avec les bons gestes qui surviennent au bon moment, et rien de plus.
Il est vrai qu’avoir devant soi les musiciens d’élite de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, dispense de tout effet de manche. Même en formation COVID, donc avec beaucoup d’espace entre les musiciens, et moins de cordes que d’habitude sur le plateau, la phalange sonne avec une générosité et une précision immédiatement séduisantes. L’instrument est bien là, dans une plénitude à peine rognée aux entournures, et le chef peut en jouer sans contrainte. A fortiori dans ces deux œuvres-là, qui laissent la part belle à de multiples soli instrumentaux. Ici on distinguera particulièrement : les cors, sublimes, les bois, aux intonations racées, le timbalier, extraordinaire, les cordes, dont le moindre tutti ronronne. En fait tout le monde, avec pour seule nuance le basson dans la Neuvième Symphonie, logiquement un Fagott système allemand, qui sonne embarrassé et neutre dans son magnifique solo juste avant le Finale. Un solo à fort potentiel, d’abord sombre et lancinant, puis sarcastique, et qui là, Marco Postinghel n’y étant sans doute pas pour grand chose, ne peut rivaliser avec le même passage entendu pile une semaine avant par Jean-Christophe Dassonville au Philharmonique de Strasbourg. Une question de facture instrumentale qui n’est pas que l’ordre de la polémique stérile. Dans certain répertoires, il apparaît quand même évident, preuves sonores à l’appui, que le système français convient mieux, avec des possibilités expressives infiniment plus riches.
Mais revenons en au chef et à sa construction d’une œuvre assez brève, où il faut marquer des points tout de suite et ne jamais laisser à l’auditeur le moindre répit. Globalement le contrat est rempli, la splendeur de l’orchestre aidant. Cela dit la mécanique bien huilée du Finale pourrait (devrait ?) conserver une trajectoire plus droite. Parfois le discours s’éparpille et la péroraison, à l’effet en principe irrésistible, paraît comme essoufflée, lâchant ses dernières fusées avec un certain retard. Une symphonie difficile à rater, où il devrait cependant être possible de serrer encore davantage les ressorts. Mais le contexte reste évidemment difficile, pour ce premier programme de concert donné en public par l’orchestre depuis fort longtemps.
En première partie, la jeune Baiba Skride, compatriote lettonne du chef, affronte crânement le Second Concerto de Chostakovitch, écrit pour l’archet royal de David Oïstrakh, encore qu’en faisant valoir des arguments très différents. Beaucoup moins d’appuis marqués, des lignes plus graciles mais qui chantent, en particulier dans le long et sinueux Adagio. Un vrai charme opère, aux limites du concerto et de la musique de chambre. Ajoutons que pour cette reprise à Munich de l’activité de concerts publics, on joue le même programme deux fois de suite chaque soir. Et donc Baiba Skride, écoutée ce soir-là à 18 heures, remettra le couvert deux heures après, pour une autre fournée de deux cents spectateurs, largement dispersés dans la vaste salle du Gasteig. Peut-être une raison supplémentaire de ne pas jeter toute son énergie dans ce premier jet. En tout cas, une belle démonstration de professionnalisme et de dévouement à la cause, bien fragile en ce moment, du concert public.
Avant la crise sanitaire hivernale, il était prévu un tout autre programme par les mêmes interprètes : Offertorium de Goubaïdoulina et la Deuxième Symphonie de Bruckner. Un menu copieux, que les charmes plus élancés du présent programme ne font pas trop regretter. Ce qui nous pince en revanche davantage au cœur, c’est de devoir prendre congé de ce vaste vaisseau du Gasteig, où l’on a connu tant d’extraordinaires moments d’émotion. Un bâtiment bourré de défauts, certains patents, d’autres cachés et semble-t-il encore pires, mais qui a fait beaucoup d’usage. En parallèle avec l’ouverture d’une Philharmonie provisoire à l’autre bout de la ville, on s’achemine ici vers une longue période de travaux, ce qui en Allemagne rime souvent avec retards en cascade et longueurs brucknériennes. En tout cas, cette fois, ce processus de rénovation de fond en comble paraît engagé au-delà du point de non-retour.
Laurent Barthel
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