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Les Lieder de Wotan

Strasbourg
Opéra national du Rhin
05/28/2021 -  
Lieder de Hans Pfitzner, Richard Wagner et Richard Strauss
Matthias Goerne (baryton), Alexander Schmalcz (piano)


M. Goerne, A. Schmalcz


Il y a deux ans, Matthias Goerne enregistrait à Berlin un programme de Lieder de Wagner, Strauss et Pfitzner pour Deutsche Grammophon, récital d’une ambiance à dessein crépusculaire, accentuée encore par une voix devenue très sombre. Un objet discographique malheureusement d’un intérêt moyen, du fait d’une acoustique de prise de son vilainement réverbérée et d’un soutien pianistique sans imagination : le pianiste coréen Seong-Jin Cho, bête de concours et maintenant artiste exclusif sous étiquette jaune, ce qui ne fait toujours pas de lui un partenaire idéal, du moins dans ce genre de programme très spécifique.


Pour ce récital strasbourgeois, le programme est exactement le même, au lied près. Seul le pianiste change. On retrouve cette fois Alexander Schmacz, familier des tournées de Goerne, et qui n’est pas non plus, a priori, un partenaire exaltant. J’en écrivais même dans ces colonnes, il y a dix ans : « discret, parfaitement attentif, sans rien qui dépasse... Sans doute pas le plus passionnant de ceux qui ont travaillé avec Matthias Goerne ces dernières années. » Un constat que l’on peut continuer à faire aujourd’hui, mais moins catégorique. La découpe des résonances de l’instrument reste franche, sans beaucoup de poésie entre les lignes, mais cette objectivité à ses bons côtés, surtout dans les pièces les plus tardives du programme, où elle coupe court à toute mièvrerie. Et puis le contrôle des sonorités, avec des nuances qui paraissent calibrées au décibel près, est assez stupéfiant.


Par rapport au disque, la préséance des compositeurs change, avec Pfitzner qui passe en premier, mais toujours représenté par exactement le même choix de dix lieder que sur le CD, et dans le même ordre. Préséance au demeurant justifiée, puisque nous sommes ici en quelque sorte chez Pfitzner, dans le théâtre même dont il a été le directeur pendant une décennie, jusqu’en 1919. C’est aussi à Strasbourg que Pfitzner a composé son principal opéra, Palestrina, créé à Munich en 1917. A ce stade de son évolution vocale, Matthias Goerne est-il le meilleur avocat pour défendre ces lieder un peu oubliés ? La monochromie de la voix, d’une belle ampleur, mais qui sonne vraiment ton sur ton, surtout en début de concert, avec une palette un peu dissuasive, gamme resserrée de gris, de bruns sombres et de noirs profonds, n’aide pas. L’élocution non plus, du moins dans une véritable acoustique de salle, pas très claire, avec des consonnes qui ressortent mal. Au disque, en ce moment, les ingénieurs améliorent cette situation en rapprochant beaucoup les micros du chanteur, et du coup captent mieux le texte mais aussi les reprises de respiration, bruits de soufflet parfois énormes (le gros défaut des derniers enregistrements de Goerne)... Ce soir, il faut un temps d’adaptation pour entrer dans le système, mais les qualités intrinsèques de cette musique aident beaucoup : une vraie variété d’approche des textes poétiques, beaucoup d’audaces harmoniques dans l’accompagnement aussi. Ce n’est pas parce que Pfitzner s’est fait remarquer sur le tard par ses positions réactionnaires qu’il composait forcément comme une vieille barbe.


Même sobriété pour les Wesendonck-Lieder. Et l’allemand de Goerne y trouve plus facilement ses appuis : une profération parfois d’une ampleur impressionnante, celle d’un véritable Wotan, rôle autour duquel Goerne a beaucoup tourné avant d’oser finalement l’aborder dans son intégralité, au moins en concert. Valorisée par l’accompagnement, qui distille les parfums de serre avec une précision moléculaire, cette interprétation laisse entrevoir des abîmes de passion tout en les contenant avec beaucoup de rigueur. Une approche sans effusion, qui force le respect.


Quatre Strauss pour finir, en fait cinq avec « Im Abendrot », qui ne figure pas sur le programme et sert en quelque sorte de bis. Là encore l’intensité méditative est de mise, culminant dans un « Ruhe meine Seele » aux confins du silence (très belle qualité d’attention du public, qui évite soigneusement de tousser). Pour « Im Abendrot », dernier der Vier letzte Lieder, Alexander Schmalcz doit se débrouiller avec une réduction pianistique qui n’est pas de Strauss lui-même et ne soutient pas toujours correctement la voix. Dans ces conditions, réussir quand même à restituer un peu de ses couleurs rougeoyantes à l’ineffable postlude est un bel exploit.



Laurent Barthel

 

 

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