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Une distribution exceptionnelle

Madrid
Teatro Real
02/13/2021 -  et 17, 21, 25 février, 1er, 5, 11*, 14 mars 2021
Richard Wagner: Siegfried
Andreas Schager (Siegfried), Andreas Conrad (Mime), Tomasz Konieczny (Der Wanderer), Martin Winkler (Alberich), Jongmin Park (Fafner), Okka von der Damerau (Erda), Ricarda Merbeth (Brünnhilde), Leonor Bonilla (Waldvogel)
Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Pablo Heras-Casado (direction musicale)
Robert Carsen (mise en scène), Eike Ecker (reprise de la mise en scène), Patrick Kinmonth (décors et costumes), Manfred Voss (lumières)


A. Schager, R. Merbeth (© Javier del Real/Teatro Real)


Je ne sais pas s’il s’agit de chance ou d’irresponsabilité, mais à Madrid, la vie musicale est presque normale dans cette époque tout sauf ordinaire. Des récitals tout à fait extraordinaires tels que ceux de Joaquín Achúcarro (15 février) et Grigory Sokolov (1er mars), les deux organisés par la Fondation Scherzo, ou le concert du Quatuor Manderling (deuxième du cycle Chostakovitch, Círculo de Bellas Artes, 5 mars); ou un concert d’un niveau inouï que celui de Maria João Pires et l’Orquesta da Camera; ou un cycle sur la musique au camp de Terezín (Fondation Juan March, trois concerts, y compris une production de Brundibár de Krása, février-mars) entre autres concerts chambristes, récitals vocaux et séances habituelles de l’Orchestre national d’Espagne et de l’Orchestre de la Radiotélévision espagnole. El le cycle du formidable Centre de la diffusion musicale, inlassable et vigoureuse section du ministère de culture.


On peut finalement aller voir Siegfried, deuxième journée, troisième volet du Ring de Robert Carsen, revisité par Eike Ecker. Les circonstances imposent une séparation, certainement, et cela veut dire qu’il y a moins de sièges. Mais l’orchestre de la Tétralogie est très grand, et il a fallu séparer les musiciens d’une fosse trop remplie: la plupart de cuivres ont été envoyés dans les loges de parterre côté cour et les harpes côté jardin, ce qui s’est parfois traduit par un manque d’équilibre sonore selon la place du spectateur dans la salle. Mais cela veut dire aussi quelque chose important: le Teatro Real n’arrête pas malgré le défi du temps et des épreuves. Hell or high water!


Les critiques ont insisté sur le manque d’unité du concept, et sur le peu de mise en scène qu’on est parvenu à en faire, une idée écologique un peu tirée par les cheveux. On n’insistera pas, dans la mesure cela a déjà été écrit à propos des opéras précédents, L’Or du Rhin et La Walkyrie. Dans Siegfried, la mise en scène de Carsen, reprise, ne gêne pas trop. On commence à être habitué, mais un de ces jours la bulle éclatera. Or le changement est absolument nécessaire pour la survie de l’opéra. C’est bien dommage, chez Carsen, puisqu’il est un des grands. La bulle est le lot des intrus et des imposteurs. Les valeurs vocales de la soirée ont été si splendides qu’on renonce à la glose des flétrissures scéniques, quoique pas trop fâcheuses cette fois-ci.


Bien que Siegfried soit un opéra de transition de La Walkirie vers Le Crépuscule, c’est ici que nous faisons connaissance avec le héros du thème dramatique principal et du leitmotiv insistant, décisif dès le moment où, dans La Walkyrie, on l’entend pour la première fois d’une façon nette. En outre, c’est ici que se trouve un des plus beaux duos d’amour de l’histoire de l’opéra, le deuxième du Ring après celui de La Walkyrie entre Sieglinde et Siegmund. Et il y a aussi un déploiement des aventures, ce qu’on appellera un jour l’heroic fantasy. Mais, par lui-même, Siegfried n’est pas programmé seul dans les théâtres, au contraire, surtout, de La Walkirie.


De plus, le rôle titre exige beaucoup d’un ténor, d’un Heldentenor. Andreas Schager est une des meilleures voix du chant wagnérien d’aujourd’hui. Les dimensions de sa large tessiture, la bravoure pour l’enthousiasme du jeune Siegfried et le progrès imparable de ses exploits, son phrasé subtil compatible avec la flamme progressive du personnage (la forge, la lutte contre Fafner, le meurtre de Mime, l’affrontement avec le Wanderer, le duo, rien n’épuisait Schager), tout cela fait du Siegfried de Schager un des grands wagnériens, comme si la grande race irréductible des Melchior ou des Windgassen était revenue à la vie.


Andreas Conrad, en Mime, réveille aussi l’autre race, celle de ténors possédant un côté léger et une forte nuance de manque de masculinité (comme le Capitaine de Wozzeck, une voix également pertinente pour les personnages chimériques, éthérés). Conrad, dans ce rôle antipathique et souvent humoristique, est un splendide adversaire impuissant de Siegfried. Tomasz Konieczny est un expert dans le rôle de Wotan, trop sur de lui-même dans sa ligne, d’ailleurs assez changeante: les énigmes avec Mime, son dramatisme avec Erda, sa défaite devant le nouveau héros, trois dimensions divergentes et pleines de nuances que Konieczny domine avec sa voix éclatante et son expérience scénique.


Très bien dirigé, Martin Winkler interprète un Alberich complexe, maladif dans son obsession, appuyé par une voix puissante et riche en nuances. Formidable scène d’Erda, surtout si l’on ne regardait pas la réalisation théâtrale imposée et si l’on entendait la voix digne, forte de la très versatile mezzo Okka von der Damerau face à Wotan (on l’a vue en novembre dernier dans un rôle tout à fait opposé, celui de Jezibaba dans Rusalka). Jongmin Park est un très correct Fafner, presque tout le temps invisible. Et, pour (presque) en finir avec cette distribution exceptionnelle, il faut remarquer la douceur de la voix de Leonor Bonilla dans le rôle, celui-ci entièrement invisible, de la voix de l’Oiseau de la forêt.


Et finalement, le duo. Ricarda Merbeth a plus d’expérience que Schager, peut-être, mais le ténor se situe dans le grand moment de sa carrière. Merbeth réussit, malgré cette inégalité, dans ce beau duo qui est tout à différent de n’importe quel autre. Elle était déjà l’année dernière dans le rôle-titre de La Walkyrie, et, dans cette scène finale, nous a convaincu de son pouvoir lyrique et dramatique en même temps, une voix puissante, même si l’éclat fléchit parfois. Un duo conclusif formidable, et le public a su répondre avec enthousiasme par ses bravos, même si ce type d’expression n’est pas très convenable dans le contexte sanitaire actuel.


Le succès a été partagé par les efforts de Pablo Heras-Casado, wagnérien en progrès, avec un orchestre qu’on entendait – on l’a vu – éclaté. Les défauts signalés par la critique lors de la première avaient presque disparu pour cette avant-dernière représentation. Voilà un des avantages des représentations finales; par exemple, on ne rate pas Sokolov le 1er mars, et on jouit d’un orchestre mieux soudé dix jours plus tard dans Siegfried. Il reste, après ces améliorations, une interprétation tout à fait personnelle, claire, sans excès de brume, et en même temps sans fuir la complexité de cet opéra intense, qui se caractérise par son petit nombre de rôles et par la primauté de l’orchestre, bien connu du public attaché au Ring. Un succès pour Heras-Casado et de l’Orchestre du Teatro Real.


Ce formidable Siegfried a été représenté parallèlement à une Norma dont il sera très prochainement rendu compte sur ce site.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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