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Déception Dijon Auditorium 10/16/2020 - et 30 septembre, 2, 4, 6 (Nancy), 18*, 20 (Dijon) octobre 2020 Alexander von Zemlinsky : Der Traumgörge (adaptation Jan-Benjamin Homolka) Daniel Brenna (Görge), Helena Juntunen (Gertraud, La Princesse), Susanna Hurrell (Grete), Andrew Greenan (Le meunier), Igor Gnidii (Le pasteur, Matthes), Allen Boxer (Hans), Alexander Sprague (Züngl), Wieland Satter (Kaspar), Aurélie Jarjaye (Marei), Kaëlig Boché (L’aubergiste), Amandine Ammirati (La femme de l’aubergiste), Dana Luccock (La voix), Ju In Yoon (Un vieux paysan), Ill Ju Lee (Un garçon), Jonas Yajure, Benjamin Colin (paysans)
Chœurs de l’Opéra national de Lorraine et de l’Opéra de Dijon, Anass Ismat et Guillaume Fauchère (chefs de chœur), Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, Marta Gardolinska (direction musicale)
Laurent Delvert (mise en scène), Philippine Ordinaire (décors), Petra Reinhardt (costumes), Nathalie Perrier (lumières), Sandrine Chapuis (chorégraphie)
(© Gilles Abegg/Opéra de Dijon)
La déception domine après la découverte de la création française, à Nancy, puis Dijon, de Görge le rêveur, troisième opéra d’Alexander von Zemlinsky (1871-1942). On attendait sans doute trop de cette coproduction, tant la musique de Zemlinsky reste injustement méconnue en France, et ce malgré des efforts constants depuis plusieurs années, dans le domaine lyrique surtout. Outre les deux chefs-d’œuvre vénéneux adaptés d’Oscar Wilde, Le Nain (voir notamment à Lille en 2017) et Une tragédie florentine (voir notamment à Monte-Carlo en 2015), on pourra citer la récente production lyonnaise du Cercle de craie. Le compositeur autrichien semble aussi retrouver une certaine aura dans les salles de concert avec sa fantaisie symphonique La Petite Sirène (voir notamment ici), au souffle postromantique lumineux proche de Rimski-Korsakov et Rachmaninov.
Composé trois ans plus tard, en 1906, l’opéra Görge le rêveur, en grande partie autobiographique, montre un visage autrement plus sombre du compositeur: le récit initiatique révèle un être profondément dépressif, incapable de se résoudre aux faux-semblants d’un mariage arrangé, attiré par les sirènes du monde et la beauté féminine – en un miroir criant de ressemblance avec l’histoire personnelle du compositeur, notamment son amour déçu pour Alma Mahler. Loin de se saisir de ces sujets passionnants, le livret de Leo Feld souffre d’un symbolisme trop simpliste, tournant en rond rapidement: pour éviter de résoudre les hésitations entre rêve et réalité, le désir de mort est-il préférable ? Si le livret aurait ainsi gagné à être resserré, la musique de Zemlinsky déçoit aussi quelque peu, tant elle reste encore ancrée dans un postromantisme prévisible, là où les ouvrages ultérieurs sauront dépasser ces prudences, dans les pas de Schreker. Quelques passages, toutefois, montrent le compositeur à son meilleur, telle la scène finale de l’acte I ou les rêveries doucereuses au II.
Il faut dire que la direction effacée et extérieure de Marta Gardolinska (née en 1988) n’aide pas à faire ressortir les humeurs changeantes au I, se bornant à lisser les angles, sans relief. Le geste legato convient mieux à l’apaisement qui suit, mais reste peu adapté à ce répertoire. On aimerait une direction autrement plus imaginative, avec davantage de prise de risques, pour affronter toutes les beautés du génial orchestrateur qu’est Zemlinsky, et ce d’autant plus que l’adaptation pour orchestre de chambre, due à Jan-Benjamin Homolka, réduit – de fait – les effets de masse. Fort heureusement, le plateau vocal donne davantage de satisfactions avec la classe vocale de Helena Juntunen (Gertraud, la Princesse), trop rare en France malgré ses prestations alsaciennes remarquées (dans Salomé et Le Son lointain). Sa présence scénique comme son aisance vocale sur toute la tessiture sont un régal de chaque instant, à l’instar du superlatif Kaspar de Wieland Satter, impressionnant de couleurs et de puissance maitrisée. Dommage que Daniel Brenna (Görge) ne se hisse par à leur niveau, souvent gêné par les brusques changements de registre et les accélérations au I, qui mettent à mal l’expression de son timbre. Peu à peu, il impose toutefois un mélange de puissance et de sensibilité dans son incarnation, faisant croire aux errances troubles de son personnage. Tous les autres rôles se montrent à la hauteur, particulièrement la musicalité subtile d’Allen Boxer (Hans), à qu’il ne manque qu’une projection plus affirmée pour convaincre totalement.
On est moins séduit en revanche par la mise en scène illustrative et peu imaginative de Laurent Delvert (découvert ici même voilà deux ans), qui revisite un décor unique pendant toute la représentation avec quelques éclairages en demi-teinte, savamment distillés en seconde partie. Si certains détails saillants, telle la scène de vendetta villageoise avec la sorcière, montrent un goût évident pour la stylisation plastique, c’est hélas trop peu pour animer un ouvrage lyrique sur la durée. Outre une direction d’acteur par trop discrète, on regrettera de nombreuses maladresses, comme de faire chanter le rôle-titre dos à la scène, assis ou allongé pendant pratiquement tout le I, ou encore d’infliger une bruyante et sous-utilisée rivière en milieu de scène. De même, on est peu convaincu par les scènes oniriques dans les blés au I, qui tombent à plat à force de pudeur et de retenue. On ne peut que vivement conseiller à ce jeune metteur en scène de s’affirmer avec davantage d’audace à l’avenir afin de dépasser la seule illustration visuelle convenable et consensuelle.
Florent Coudeyrat
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