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Un Bal doublement masqué

Madrid
Teatro Real
09/18/2020 -  et 20, 23, 25, 27, 29 septembre, 1er, 3, 4, 6, 7*, 10, 11*, 13, 14 octobre 2020
Giuseppe Verdi: Un ballo in maschera
Michael Fabiano/Ramón Vargas (Riccardo), Anna Pirozzi*/Saioa Hernández/Maria Pia Piscitelli/Sondra Radvanovsky* (Amelia), Artur Rucinski/George Petean (Renato), Daniela Barcellona/Silvia Beltrami (Ulrica), Elena Sancho Pereg/Sara Blanch (Oscar), Tomeu Bibiloni (Silvano), Daniel Giulianini (Samuel), Goderdzi Janelidze (Tom), Jorge Rodríguez-Norton (Un juge, Un serviteur d’Amelia)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Nicola Luisotti (direction musicale)
Gianmaria Aliverta (mise en scène), Massimo Checchetto (décors), Carlos Tieppo (costumes), Fabio Barettin, Elisabetta Campanelli (lumières), Silvia Giordano (chorégraphie)


A. Pirozzi, A. Rucinski (© Javier del Real/Teatro Real)


Le Teatro Real continue, après La Traviata du mois de juillet, ses représentations et prend (en insistant) ses risques. Ce n’est pas la santé qui est en danger dans les théâtres – c’est surtout à l’extérieur – mais il faut risquer la réaction du public. Avec La Traviata, on a vécu un succès incontestable. Avec Un bal masqué, en septembre et octobre, le public a réservé un juste succès et, en même temps, a fait un geste de bienveillance, de tolérance envers une mise en scène dont les narrations et les signes étaient un peu trop tirés par les cheveux. Mais on peut dire qu’il s’agit d’une véritable mise en scène, tandis que La Traviata de juillet était plutôt une mise en espace costumée, avec des mouvements scéniques. Lors d’une des premières représentations, un spectateur du paradis a protesté, ce qui a conduit à l’annulation du spectacle. Il y avait des tensions et des contradictions entre les normes en vigueur et les mesures annoncées pour deux jours après. Pour les représentations suivantes, le Teatro Real a renforcé encore plus ses mesures de sécurité. La mise en scène a été adaptée aux temps de la peste. On ne donnera pas des détails sur les changements des distributions prévues (même pour la production envisagée), mais il faut signaler le présence dans ce Bal de quelques noms de La Traviata de juillet: Luisotti, Fabiano, Rucinski, en plus du formidable chœur, bien sûr.


Un bal masqué a une action secondaire dont tout l’opéra se ressent: c’est l’épisode d’Ulrica, la sorcière, dont la réussite dans les prédictions est parfois ridicule. Pour notre sensibilité, du moins – car on ne croit plus du tout aux devins, même pas aux statistiques et aux sondages, et les histoires fantastiques de terreur ont sans cesse été revisitées pendant plus d’un siècle – on a perdu l’innocence d’avoir peur. On a toujours l’impression que l’histoire, sans cela, aurait un sens dramatique plus pur, moins lourd, et que la mise en scène perdrait un des moments les plus propices au kitsch. Un kitsch que celle de Gianmaria Aliverta déploie avec un grand plaisir. Et ce malgré le rôle d’Ulrica, pour un seul tableau mais demandant une voix féminine grave de premier rang. Si le metteur en scène essaie en outre d’ajouter une histoire d’esclavage, de racisme, d’intolérance, de persécutions et crimes raciaux, de KKK, etc. (en profitant de ce que l’action est située à Boston, pendant l’époque coloniale, en ignorant que la censure de l’époque de Verdi et le librettiste Somma ont imposé une autre géographie), alors le pot-pourri devient un peu indigeste.


On comprend l’intention de calmer un peu les mauvaises consciences, mais pour cela, il aurait été préférable, mais aussi plus courageux et engagé, de composer un nouvel opéra, comme l’adaptation de romans tels que Place Called Estherville d’Erskine Caldwell, peut-être, ou sur un livret entièrement original. Il faut chercher la dramaturgie cachée, mais on ne peut pas l’inventer sans provoquer une gêne. Comme trop d’habitude, la mise en scène a essayé de nous distraire du chant et de la véritable situation dramatique (ah, le duo d’amour dans une situation dangereuse, devant le cadavre d’un esclave enfui!). Et nous avons, nous tous, fait en effort pour faire attention aux chanteurs et à une fosse d’où sortait une musique merveilleusement jouée. On ne parlera pas d’autres scènes, dans la mesure où il s’agit d’une adaptation aux circonstances actuelles. Mais, quand même, la laideur du décor du tableau final est d’origine: la déconstruction de la statue de la liberté, monument imposant, même coupé en deux grands morceaux, écrasant l’action et la danse! Les décors de Massimo Checchetto, néanmoins, étaient beaux et adaptés au choix scénique de la mise en scène, et pas seulement le rocher tournant pour le duo).


On pourrait discuter les danses mal à propos, surtout pendant le tableau d’Ulrica. On fait souvent cela: des danseurs interprètent ce que les chanteurs n’expliqueraient pas assez clairement. On a vu en streaming un Orphée et Eurydice (Gluck) et une Rusalka (Dvorák) récemment avec cette ambition. Pénible. Pour les danseurs, spécialement. Et pour nous. Mais les zombies du tableau d’Ulrica, ce n’était pas croyable! Cela dit, on peut toutefois comprendre la manque d’éclat du tableau final (le bal, les masques) en raison de l’adaptation aux mesures d’exception exigeant des changements plus sévères ici que dans les tableaux précédents.


On a successivement entendu deux distributions, et les deux ont été d’une hauteur artistique supérieure. Non sans nuances, quand même.


Dans les deux distributions, les voix sont de premier ordre. Le rôle d’Amelia a des graves redoutables pour une voix de soprano lyrique. On peut se demander s’il n’y a pas une contradiction entre les exigences parfois purement belcantistes et les graves ramenant la chanteuse aux «gouffres» d’un enfer intérieur. Anna Pirozzi compose un rôle où la légèreté et les filati garantissent des choix tout à fait belcantistes, exquis. Sondra Radvanovsky, sans camper loin du belcantiste, a des graves d’une obscurité tout à l’opposé. Deux Amelia présentes en un seul Verdi véritable.


S’il y a eu quatre Amelia pendant ces mois de septembre et d’octobre au Teatro Real, on n’a eu, en revanche, que deux Riccardo, deux voix excellentes où l’on peut aussi déceler deux options différentes. D’un côté, le Mexicain Ramón Vargas, voix lyrique en même temps que presque héroïque, dans un rôle qu’il connaît bien. Son lyrisme plane sur sa ligne, nuancée par la construction d’un personnage plein d’une dignité aussi noble qu’audacieuse. Remarquable Riccardo que celui de l’Américano-italien Michael Fabiano, dont les difficultés avec la ligne (il luttait réellement avec son rôle) ne l’empêchaient pas d’incarner un héros exalté, parfois un peu forcé. Artur Rucinski, baryton dont le volume surpasse sa capacité de nuances, déploie un Renato ferme, sans arrière-plans. Tout comme George Petean, verdien et bellinien avéré, dont le Renato aux nuances de ténor montre une richesse croissante jusqu’à son moment culminant, la scène avec Amelia, les deux tous seuls.


C’est peut-être la tradition du rôle d’Oscar qui a fait que deux voix différentes comme celles d’Elena Sancho Pereg et Sara Blanch (celle-ci en remplacement d’Isabella Gaudi) déploient un page semblable, bien servi vocalement, avec cette drôle de sympathie exigée depuis un long siècle et demi par ce rôle trop souriant, trop bon enfant, trop féminin plus que travesti, plus Yniold (mais espiègle) que Chérubin; un peu casse-pied dans sa sympathie. Mais Sancho Pereg et Blanch ont des très belles voix qu’il faut aussi entendre ailleurs (respectivement Zerlina et Norina, par exemple). Mais pour chanter la ballata, là, il faut avoir une voix, et toutes les deux en avaient.


Ulrica est habillé d’une façon épouvantable; ce n’est pas la première fois que ce rôle «inspire» la fantaisie «créative» des dessinateurs de costumes. On en a connu des pires. En même temps, on a entendu deux voix de premier ordre, comme prévu, pour un rôle exigeant mais limité au seul tableau de sorcellerie, celui d’Ulrica. Daniela Barcellona n’est pas, peut-être, dans son milieu le plus juste, mais elle campe une Ulrica dont la vérité dramatique impose d’oublier un autre sens de vérité (pas nécessairement du «réalisme»). Silvia Beltrami semble plus l’aise dans son univers, et évite les obscurités du rôle. C’est peut-être étonnant, mais tout à fait bienvenu, d’entendre deux voix excellentes pour les deux conspirateurs, Samuel et Tom: Daniel Giulianini et Goderdzi Janelidze. Et aussi Tomeu Bibiloni dans le rôle de Silvano: dans son tableau (celui d’Ulrica), il parvient à donner de l’importance à ce rôle épisodique.


L’excellence était aussi dans la fosse, avec la direction précise, dramatique, poétique, et toutes les qualités, de Nicola Luisotti, déjà excellent dans La Traviata, et un orchestre en pleine forme. Le climat, l’atmosphère, les situations étaient dessinés d’une façon admirable. Un accompagnement exact et une incontestable mise en son des situations dramatiques et lyriques au-delà des servitudes de la production. Comme d’habitude, le Chœur du Teatro Real, dirigé par Andrés Máspero, a accompli des prouesses, les chanteurs parfois masqués (mais pas pour les masques du ballo, assurément).



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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