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La seule chose qui tourne sur Terre...

Toulouse
Théâtre du Capitole
09/26/2020 -  et 29 septembre, 2, 4, 7, 9, 11 octobre 2020
Wolfgang Amadeus Mozart : Così fan tutte, K. 588
Anne-Catherine Gillet (Fiordiligi), Julie Boulianne (Dorabella), Sandrine Buendia (Despina), Mathias Vidal (Ferrando), Alexandre Duhamel, (Guglielmo), Jean-Fernand Setti (Don Alfonso)
Chœur et Orchestre du Capitole, Speranza Scappucci (direction musicale)
Ivan Alexandre (mise en scène), Antoine Fontaine (décors et costumes), Tobias Hagström Ståhl (lumières)


(© Mirco Magliocca)


Après Bordeaux et l’Opéra national du Rhin, le Théâtre du Capitole s’est mis en ordre de marche pour ouvrir sa saison et offrir au public, en replacement des Pêcheurs de perles prévus, une reprise du Così fan tutte mis en scène par Ivan Alexandre, créé dans le théâtre baroque de Drottningholm en 2017. Christophe Ghristi a pu compter sur les quatre chanteurs prévus pour l’ouvrage de Bizet, et, en ajoutant deux, a réuni cinq prises de rôles et quatre débuts in loco pour une rentrée sous le signe du divin Mozart, baume universel, remède au temps d’épidémie, comme on l’a vu à Salzbourg. Le Chœur du Capitole chantant ses courtes parties dans des loges d’avant-scène, l’orchestre réduit à trente-six musiciens (comme au temps de Mozart), tout était réuni pour une reprise respectant les normes sanitaires les plus strictes, et le public a quasiment rempli la salle du Capitole, hormis les places délibérément laissées vacantes.


La scénographie d’Antoine Fontaine rend hommage au théâtre de tréteaux du XVIIIe siècle, avec force jeux sur des toiles imprimées, qui peuvent se transformer à l’envi en foc, grand-voile pour bateaux, toile à peindre ou catalogue alla Leporello, se déroulant jusque dans la fosse, ou en fichu pour fausse madone. Les interprètes sont maquillés de blanc, et bien souvent chantent de face, le public devenant le personnage auquel ils s’adressent. Le décor est ingénieusement utilisé, l’estrade recelant une trappe pour les ébats des amants ou pour une machinerie messmérienne au moment opportun. Les lumières en contre-plongée de Tobias Hagström Ståhl recréent l’ambiance du théâtre de l’époque classique, à ceci près que le rideau de scène est absent, laissant les artistes au vu de tous aux entractes, d’autant plus qu’ils se trouvent quasiment toujours sur scène, se changeant à vue (pour les garçons) ou observant les autres protagonistes depuis l’avant-scène. Ivan Alexandre joue à fond la carte de la mise en abyme, au point que l’illusion théâtrale sera même brisée pour que soit joué l’évanouissement d’Anne-Catherine Gillet au premier acte, dans une superposition de plans d’action qui se retrouve en écho sur les palimpsestes des toiles. De cartes, il en sera beaucoup question, puisque le pique et le cœur s’affrontent tant dans les tentures que dans les jeux de cartes au cours de la représentation, symboles des paris qui se perdent et des cœurs qui se gagnent et se reprennent.


Le metteur en scène n’hésite pas à donner dans le buffa le plus traditionnel, les acteurs s’en donnant à cœur joie, Guglielmo et Ferrando se muant même, grâce à leurs grandes jupes et leurs perruques, en derviches tourneurs, voire en pom-pom boys. Cette mise en scène débridée, virevoltante, n’hésite pas à mettre en lumière les sous-entendus salaces de Da Ponte, et les jupes ne cacheront pas toujours les attributs des uns et des autres, dans un jeu de dupes parfaitement réglé. Ivan Alexandre sait que rien n’est à prendre au premier degré dans les déclarations des personnages, et il use de l’outrance avec finesse, ces personnages devenant des caricatures, jusqu’à ce que le sourire se fige et que l’amertume pointe. Les postiches des faux Albanais sont d’ailleurs progressivement retirés avant même que la révélation de leur identité soit permise par le livret: le jeu dépasse toute frontière de convention. Dans ce maelström de sentiments, d’actions et de faux-semblants, les protagonistes sont toujours à la limite de la chute au premier acte, perdant l’équilibre pour se perdre et se trouver eux-mêmes au gré des élans contradictoires de leur cœur.


Les chanteurs réunis trouvent dans ce cadre un terrain qui leur est plus ou moins propice, selon les cas. Les voix aiguës nous ont moins convaincus, Mathias Vidal manquant d’éclat dans le haut du registre comme de lyrisme, faute d’un timbre assez chatoyant pour charmer, même si dans la nuance piano de la reprise d’«Un aura amorosa», ou dans les affres de la révélation de la trahison de sa belle («Tradito, schernito»), il réussit à émouvoir. Anne-Catherine Gillet offre un timbre lumineux et une belle projection à Fiordiligi, mais la voix manque de largeur pour le rôle, et nous évoque plus Susanna, fraiche et espiègle, que l’héroïne de Così. Néanmoins elle gère très habilement les écarts d’ambitus crucifiants de ses deux grands airs, et finit, elle aussi, par émouvoir dans «Per pietà», grâce à un phrasé remarquable. Fine mouche, toute de souplesse et d’entrain (son entrée en scène, portant sur sa nuque un plateau avec le pot de chocolat, aux sons du «Notte e giorno faticar» joué au clavecin, est épatante), Sandrine Buendia est une Despina virevoltante, dans la lignée d’un Cherubino, à rebours du personnage roué et amer de la tradition, même si le timbre se déploie mieux dans le fortissimo que dans les récitatifs.


Julie Boulianne, elle, dispose d’un timbre capiteux, très sensuel dans le grave, et fait merveille en Dorabella. La voix, couverte sans excès, dispose d’un métal dès le haut-medium, qui offre à l’aigu un rayonnement magistral, permettant des échos de lumière parfaits avec sa sorella. Un peu d’abandon en plus dans «Amore e un ladroncello» et ce serait parfait! Jean-Fernand Setti promène sa très haute stature et son ombrelle avec aplomb et gravité, moins vecchio de comédie que Méphisto en goguette, inquiétant tireur de ficelles. Le timbre du baryton-basse est franc, la projection excellente, la diction très travaillée, même si elle manque d’italianità. Assez loin de l’image traditionnelle d’Alfonso, mais très intéressant. Quant à Alexandre Duhamel, il reprend un de ses rôles signatures, et domine la scène, sachant user à merveille du buffo permis par la mise en scène. Vocalement, il présente une palette très large, distillant des mezze voci ensorcelantes dignes du Don Giovanni qu’il devait être en juin à Bordeaux, et tonnant aux moments opportuns avec grandeur. Le portrait gouleyant qu’il fait d’un Guglielmo infatué et finalement blessé est d’un relief phénoménal.


Speranza Scappucci impose un Mozart plus belcantiste que classique, jouant sur les rythmes et rubati plus que sur les textures instrumentales. Surtout, elle a été un coach vocal précieux pour une distribution toute francophone et lui a permis d’aborder au mieux l’idiome de Da Ponte.


A la fin de cette longue et belle soirée, le public, sans doute un temps refroidi par les températures curieusement en berne d’une Occitanie mouillée, finit par offrir une longue ovation à une équipe qui lui a fait retrouver le goût inimitable du théâtre en musique. Espérons que de telles expériences ne cesseront pas de sitôt.



Philippe Manoli

 

 

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