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Monologue norvégien

Strasbourg
Opéra national du Rhin
09/19/2020 -  et 20, 22*, 23 septembre 2020
Solveig (L’Attente), d’après Edvard Grieg
Mari Eriksmoen (soprano)
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Alessandro Zuppardo (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Eivind Gullberg Jensen (direction)
Calixto Bieito (mise en scène, idée, concept), Isabel Andrea Odriozola (lumières), Sarah Derendinger (conception vidéo)




Enfermée seule dans un cube blanc, une femme attend, pendant une heure dix. Une gageure, sur fond de musiques d’Edvard Grieg, autour de laquelle le charismatique Anders Beyer, directeur artistique du Festival de Bergen, a pourtant réussi à fédérer plus d’une demi-douzaine de maisons d’opéra et de salles de concert en Europe. Les représentations ont commencé en 2019 à Bergen puis Copenhague et continuent à présent à l’Opéra national du Rhin. On ne pouvait rêver mieux, pour cette ouverture de saison 2020/2021 de tous les dangers, que ce projet dépouillé au point d’en paraître prémonitoire. Orchestre disséminé sur scène, une seule chanteuse au centre du plateau, bien protégée par de hautes parois... A part pour le chœur, dont on a modifié la disposition, et l’orchestre, qu’il a fallu alléger en pupitres, il s’agissait déjà d’une production totalement « distanciée ».


Sur l’affiche l’aventure paraissait tentante, carte blanche à l’auteur norvégien Karl Ove Knausgård, en vue d’un texte pouvant entrer en résonance avec la musique écrite par Edvard Grieg pour le Peer Gynt d’Ibsen. Au problème près que le contre-emploi paraît total, pour ce romancier davantage enclin aux formats interminables. En tout cas ici les qualités littéraires de cette suite de propos allusifs d’une femme figée dans l’attente, monologues déclamés en langue scandinave, à la compréhension impitoyablement segmentée par le surtitrage, nous ont plutôt échappé. Ce pourrait être aussi bien la douce Solveig, ultime consolatrice du Peer Gynt d’Ibsen, que n’importe quel autre personnage de femme seule aux facultés de dévouement exceptionnelles. Une allégorie aux contours flous, dont la production nous dessine en filigrane quelques traits à peine plus décryptables : une soignante peut-être, à l’écoute à la fois d’une vieille mère malade et de sa propre fille, bientôt mère elle-même. Attentes multiples, de la mort d’un aîné, d’une proche naissance, voire simplement du prochain état du cycle biologique de la nature. Un propos à la fois évocateur et peu consistant, où tout repose sur la force poétique d’images à trouver.


Une faculté d’invention qui fonctionne à plein dans les vidéos de Sarah Derendinger, projetées sur toutes les parois du cube central autour de la comédienne/chanteuse, ainsi que sur deux écrans latéraux. Apparitions mouvantes, en noir et blanc le plus souvent, tantôt humaines tantôt animales, fusionnées en superpositions audacieuses. Le compromis entre bombardement visuel superflu et dépouillement excessif est bien géré, sauf lors des images finales d’accouchement, pour le coup trop insistantes. A un instant critique de la vie où il est crucial de ne pas traîner, cette lenteur esthétisante, boucle vidéo de déflexion de tête du nouveau-né maintes fois répétée pour s’adapter au temps musical imparti, crée un hiatus agaçant.


Qu’attendre du metteur en scène Calixto Bieito ? Ici pas grand chose, tant les données scéniques sont contraignantes. Vraiment rien de saillant au niveau du traitement physique du seul personnage de la pièce, si ce n’est sa propension à se filmer en gros plan avec son téléphone portable, images retransmises en direct et à vrai dire jamais intéressantes. Car même si la soprano Mari Eriksmoen a beaucoup de présence en scène, son visage n’a pas l’expressivité de celui d’une comédienne de métier. De surcroît, à ces moments là, seul défaut technique d’une production par ailleurs d’une finition irréprochable, les mots parlés et le chant sont décalés par rapport aux images, physionomies projetées sur les écrans avec une perceptible fraction de seconde de retard. Contingence inévitable sans doute, de même que le bruit des projecteurs vidéo installés à l’avant-scène, ronflement parasite qui a tendance à s’accroître à mesure que la température de la salle augmente. Somme toute n’est pas un virtuose de l’installation scénique qui veut. On peut toujours rêver de ce qu’aurait pu créer un Romeo Castellucci avec les mêmes données de départ. Ici l’épidermique mise en images ne tient la route que grâce à l’apport suggestif décisif de la musique de Grieg. Suffisant pour soutenir l’intérêt pendant 70 minutes ? Tout juste !


Vocalement, ce que propose Mari Eriksmoen est beau, un peu fragile et ténu sur les aigus de sa célèbre chanson, avec un potentiel d’émotion qui nous paraît en revanche absent de son texte parlé, la barrière de la langue fonctionnant il est vrai à plein. Sous la direction d’Eivind Gullberg Jensen, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg délivre un son plein et riche, assisté par une sonorisation dont il faut souligner l’extrême habileté. L’effectif instrumental est réduit, dispersé à l’arrière du plateau, voire presque inexistant en cordes graves, et pourtant l’ampleur symphonique est bien là. Une mise en valeur flatteuse dont bénéficie moins le Chœur de l’Opéra du Rhin à l’avant-scène, de surcroît privé d’homogénéité du fait de la dispersion sanitaire en vigueur, ce qui nous vaut quelques pages chorales de Grieg (étrangères à Peer Gynt d’ailleurs, mais bien en situation) curieusement diaphanes, encore que pas dépourvues de séduction.



Laurent Barthel

 

 

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