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Le rêve en rose Geneva Grand Théâtre 09/14/2020 - et 16*, 18, 20, 22, 24, 26 septembre 2020 Gioachino Rossini : La Cenerentola Anna Goryachova (Angelina), Edgardo Rocha (Don Ramiro), Simone Del Savio (Dandini), Carlo Lepore (Don Magnifico), Simone Alberghini (Alidoro), Marie Lys (Clorinda), Elena Guseva (Tisbe)
Chœur d’hommes du Grand Théâtre de Genève, Alan Woodbridge (préparation), Orchestre de la Suisse Romande, Antonino Fogliani (direction musicale)
Laurent Pelly (mise en scène et costumes), Chantal Thomas (décors), Jean-Jacques Delmotte (collaboration aux costumes), Duane Schuler, Peter van der Sluis (lumières)
(© GTG/Carole Parodi)
Turandot devait ouvrir la saison 2020-2021 du Grand Théâtre de Genève mais le coronavirus est passé par là, et c’est finalement La Cenerentola qui lance les réjouissances lyriques au bord du Léman. Si le chef-d’œuvre de Puccini, avec son effectif orchestral pléthorique et ses nombreuses scènes avec chœurs, n’est pas le titre idéal en ces temps de mesures sanitaires, l’opéra bouffe de Rossini, plus intimiste, convient beaucoup mieux. Des compromis ont cependant été nécessaires, notamment le nombre de musiciens dans la fosse, quarante-quatre pour être précis, dont une trentaine de cordes. Une formation chambriste qui permet de respecter les mesures de distanciation (1,5 mètre entre chaque instrumentiste), mais qui présente surtout l’avantage d’entendre pour une fois un Rossini léger et transparent, avec des sonorités claires jamais perçues jusqu’ici, le tout magnifié par la baguette précise, élégante et alerte d’Antonino Fogliani. Le chef italien fait une belle démonstration de ses affinités avec l’univers du maître de Pesaro, et l’Orchestre de la Suisse Romande, en grande forme, répond du tac au tac, avec notamment des bois aériens et des cordes soyeuses.
Le spectacle, conçu par Laurent Pelly pour Amsterdam en décembre 2019, aurait dû être présenté à Genève ce printemps déjà, mais, confinement oblige, il a été annulé. Pas définitivement heureusement, puisqu’il a investi le plateau du Grand Théâtre avec quelques mois de retard, pour le plus grand bonheur des mélomanes genevois, qui peuvent enfin découvrir cette production tout aussi poétique qu’originale. Le metteur en scène voit dans Cendrillon une jeune fille solitaire et enfermée dans sa bulle, à la limite autiste, qui rêve d’un autre monde. Cet autre monde lui apparaît sous la forme d’un prince qui cherche à se marier, un monde idéal pour s’évader de son quotidien si triste. Laurent Pelly s’ingénie à mettre en tension les deux mondes, le réel et le fantasme. Le monde réel est gris et contemporain, avec une Cendrillon femme de ménage, seau et balai à la main, affublée de grosses lunettes et les cheveux tirés en arrière ; le rêve est un univers rose bonbon qui descend des cintres, avec des personnages en perruque et habillés façon XVIIIe siècle.
La distribution vocale est de haute tenue. Elle est emmenée par le superbe Don Ramiro d’Edgardo Rocha, au style hors pair et aux aigus vaillants. Anna Goryachova incarne une Cendrillon fragile et émouvante, au timbre de velours et aux vocalises bien assurées, quand bien même la voix peut sembler un peu « grande » pour le rôle, la chanteuse s’étant essayée à des emplois plus dramatiques. Carlo Lepore campe un Don Magnifico truculent, jamais ridicule, et séduit par sa projection vocale insolente. Simone del Savio est un Dandini irrésistible et bondissant, alors que Simone Alberghini, en frac de chef d’orchestre, confère de la prestance à Alidoro. Les deux sœurs, véritables têtes à claques, sont incarnées avec beaucoup d’humour et d’énergie par Marie Lys et Elena Guseva. On mentionnera aussi la prestation irréprochable du Chœur d’hommes du Grand Théâtre de Genève. Un spectacle à consommer sans modération tant il fait du bien, surtout en cette période d’incertitudes.
Claudio Poloni
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