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Krystian Zimerman à Genève Geneva Victoria Hall 09/07/2020 - Ludwig van Beethoven: Concerto pour piano n° 3, opus 37
Alexandre Mastrangelo: Deux pièces pour ensemble de cuivres et percussion Krystian Zimerman (Piano)
Orchestre de la Suisse Romande, Jonathan Nott (direction)
Durant cette période de pandémie, les institutions musicales genevoises ont pu reprendre des activités. L’Orchestre de la Suisse Romande (OSR) a été parmi les premières institutions à redonner des concerts publics dans le strict respect des conditions établies par l’Office fédéral de la santé publique. Le Grand Théâtre a dû annuler la création en Suisse de Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen et remplacer pour la rentrée le Turandot de Puccini par la plus «intime» Cenerentola de Rossini mais il lui a été possible de faire venir pour des récitals de lieder Jonas Kaufmann ainsi que Sabine Devieilhe et de donner une soirée d’extraits de Wagner et de Verdi avec des chanteurs qui, au stade où en est leur carrière, ne se déplaceraient peut-être pas à Genève. Signe de cette confiance, le Grand Théâtre a produit une vidéo pleine de bonne humeur.
L’Orchestre de la Suisse Romande n’est pas en reste. Après s’être déplacé durant l’été pour donner des concerts de musique de chambre dans le canton et donné quelques concerts pour un public adapté aux conditions en vigueur, l’OSR, qui à cette période serait plutôt en train de se produire dans des festivals étrangers, fait venir pour la première fois Krystian Zimerman en soliste et le 23 septembre prochain Daniel Harding et Maria João Pires. Pour une grande ville comme Paris ou Londres, ce sont des événements qui passeraient inaperçus. Pour Genève et l’OSR, ne nous trompons pas, ce sont des coups de maitre.
Les conditions dans lesquelles cette soirée est donnée reflètent les directives en cours pour les manifestations de groupe en Suisse. Les protections de plexiglas ne sont plus obligatoires mais la majorité des musiciens gardent leurs masques durant le concert et sont à un mètre de distance les uns des autres. Le public, limité en nombre, reste masqué durant l’intégralité du concert depuis son entrée à Victoria Hall jusqu’à la sortie. Les très rares qui l’oublient se font rappeler à l’ordre par les ouvreurs. C’est très naturellement que Krystian Zimerman et Jonathan Nott arrivent masqués sur scène et se donnent le coude en arrivant sur scène.
L’orchestre n’est pas au complet comme c’est le cas en Autriche mais sa disposition a été modifiée par rapport à ce qui était autorisé en juin dernier . Pour donner un exemple, il n’y a que quatre contrebasses, qui sont maintenant face au chef dans la largeur de la salle et non sur le côté. Ceci nuit un peu lorsque l’orchestre doit jouer forte mais lui permet d’avoir un son plus aéré et coloré dans les nuances piano et mezzo forte. A nouveau, les bois nous rappellent leur qualité et l’intervention de Michel Westphal à la clarinette au troisième mouvement du concerto de Beethoven est de toute beauté.
C’est la première fois que Krystian Zimermann se produit avec l’OSR et dans cette salle dont il faut rappeler que l’acoustique n’est pas toujours facile. Les musiciens ne sont pas toujours parfaitement ensemble. Il faut peut-être y voir le challenge du premier concert de rentrée après une longue interruption ou le fait que les rubatos du pianiste ne soient pas si faciles à suivre. Autre élément de surprise pour qui a entendu Zimermann plus jeune, le pianiste polonais utilise plus la pédale et certains traits manquent parfois de clarté. Mais, et Arthur Rubinstein aurait apprécié, ses fortissimos sont éclatants et sans dureté. La dimension beethovénienne de ce concerto est en tout cas cependant bien rendue. L’Allegro con brio est nerveux. La cantabile du Largo est très réussi avec un tempo assez juste ni trop rapide ni trop lent. Le Rondo final est plein de jeunesse. C’est un Beethoven plus dionysiaque qu’apollinien qui nous est ici proposé.
L’OSR pourrait se contenter dans cette période où les concerts sont moins nombreux et plus courts de rester dans les classiques. Ce n’est pas le cas ici puisqu’Alexandre Mastrangelo, le compositeur genevois de la seconde œuvre au programme, n’a que 31 ans. Ses Deux pièces pour ensemble de cuivres et percussion sont bien écrites pour des instruments dont il maîtrise l’impact et le potentiel. La part du lion revient au pupitre des trombones auquel se joint le compositeur. Si le Scherzo final est un peu monotone et ne présente pas assez de surprises, l’Elégie initiale est assez convaincante avec de beaux développements.
Mais au final, ce qu’il faut retenir, c’est qu’il est possible à Genève et en Suisse d’entendre de la musique tout en respectant les directives de sécurité. Tout n’est pas comme avant et ne le sera pas avant un bon moment. Il y aura de nombreuses occasion de se retrouver à Victoria Hall ou au Grand Théâtre et quand on a l’immense joie de pouvoir entendre de la musique, croyez-moi, garder un masque durant une heure ou plus ne pose aucun problème.
Antoine Lévy-Leboyer
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