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Un premier pas mais pas le dernier... Geneva Victoria Hall 06/06/2020 - et 16, 18 juin 2020 Wolfgang Amadeus Mozart: Concerto pour piano n° 23, K. 488 – Symphonie n° 41 «Jupiter», K. 551 Nelson Goerner (piano)
Orchestre de la Suisse Romande, Jonathan Nott (direction) J. Nott (© Antoine Lévy-Leboyer)
Dans l’entretien qu’il nous a consacré, Renaud Capuçon, futur directeur musical de l’Orchestre de chambre de Lausanne, nous avait dit à quel point ce sera une joie pour les musiciens de pouvoir à nouveau communiquer avec leur public. Nous avons eu le privilège de vivre hier soir cette expérience avec l’Orchestre de la Suisse Romande (OSR), une joie immense et partagée.
La Suisse, comme l’Autriche, est quelques semaines en avance dans ses opérations de déconfinement par rapport à d’autres pays dont nos voisins français. La crise a été gérée avec un pragmatisme typiquement helvète, avec en particulier la mise en place d’un accord entre secteurs hospitaliers privé et public, ce dernier se consacrant exclusivement au traitement des cas de covid tandis que les établissements privés prenaient en charge les autres maladies sans surcharge de coûts. Tout en respectant les règles précises de reprise d’activité, commerces, cafés et restaurants ont réouvert leurs portes. Ces derniers fonctionnement en capacité réduite, signe qu’ici comme ailleurs, il faudra attendre pour retrouver une situation complétement normale.
C’était ce même sentiment que l’on avait hier dans Victoria Hall. Les musiciens sur scène, chemises blanches et jeans casual, étaient à 2 mètres les uns des autres, respectant ainsi les mesures de distanciation sociale en vigueur. Le public devait suivre un marquage au sol précis et le concert était donné sans entracte. Il n’y avait que 250 personnes (dont Martha Argerich) dans une salle qui normalement peut en accueillir 1 500, des images bien semblables à celles rapportées par la presse du concert des Wiener Symphoniker à Vienne la veille avec Igor Levit en soliste. Enfin, ces quatre programmes Mozart offerts gratuitement grâce au généreux sponsoring d’une des mécènes de l’orchestre seront répétés pour permettre au plus grand nombre de venir retrouver leur orchestre.
L’espace entre les musiciens et le fait de jouer dans une salle qui va naturellement plus réverbérer que par habitude ne facilite pas la tâche des artistes. Il leur faut un moment pour retrouver leurs marques et il y a quelques petits décalages qui sont bien compréhensibles. A nouveau, le public genevois ne peut que se féliciter de la présence dans la cité de Calvin de Nelson Goerner. Ce n’est pas la première fois que le grand pianiste argentin et professeur à la Haute Ecole de Genève retrouve les concertos de Mozart avec l’OSR et son directeur musical. Comme c’est le cas dans ses lectures de Schumann ou de Beethoven, le son est plein et varié, la pulsation régulière et la ligne d’une grande élégance. Sous ses doigts, on réalise à quel point Mozart écrit magnifiquement pour le piano. L’orchestre le suit avec soin dans une lecture très classique sans sentimentalité. (Au passage, on peut remarquer que Jonathan Nott fait jouer les second violons arco et non pizzicato dans les dernières mesures du sublime Adagio, un mouvement qui est parmi les sommets de la musique concertante de Mozart). Très applaudi par le public et les musiciens, le pianiste rend hommage à son pays en jouant un de ses bis de prédilection, le Bailecito de Carlos Guastavino.
La lecture que donne Jonathan Nott de la Quarante-et-unième Symphonie «Jupiter» est plus inspirée par les styles des musiciens issus du baroque. Les cordes ont peu de vibrato. Il y a une grande liberté dans les rubatos qui permet une certaine théâtralité. Toutes les reprises sont respectées y compris les deux du finale. Le départ de l’Allegro vivace est dramatique voire un peu trop volontaire. Comme c’est souvent le cas avec l’OSR, on peut apprécier la qualité des bois et en particulier la flûte de Loïc Schneider et le hautbois de Nora Cismondi. Le Menuetto trouve un équilibre entre les caractères dionysiaque et apollinien. Il y a enfin beaucoup de soin apporté au très exigeant finale.
Le plaisir de se retrouver entre musiciens et public est profond et réel. La qualité d’attention de la salle, la chaleur des applaudissements et le sourire des musiciens sont des signes qui en disent long. L’émotion de retrouver la présence physique de la musique vivante est également très forte. Mais en même temps, on ne peut s’empêcher de réfléchir sur le présent, sur la situation actuelle qui est une réelle avancée par rapport aux deux mois que nous venons de passer mais qui laisse entrevoir le chemin qui reste encore à parcourir et qui reste considérable.
Bien évidemment, la situation économique est une source d’inquiétude forte au niveau mondiale. Comme le rappelle Olivier Hari, Président de l’OSR, nombreux sont les musiciens, indépendants ou intermittents qui n’ont pu se produire et sont dans une situation financière délicate (Ceux qui veulent soutenir les musiciens genevois peuvent faire un don à l’Union suisse des artistes musiciens – Section Genève – Soutien Post Covid 19 – 1200 Genève et dont l’IBAN est le CH75 9000 0000 1200 4483 2). Les précautions prises pour respecter la distanciation sociale font que nous n’oublions pas que tant que des vaccins ne seront pas finalisés, produits en masse et utilisés, il ne faut pas se relâcher faute de quoi les efforts énormes réalisés par tous seraient remis en question. Ceci signifie pour les musiciens qu’il faudra attendre pour que les ensembles orchestraux puissent à nouveau jouer ensemble dans des conditions «normales» et en faire profiter leur public et non un petit groupe.
Genève est très privilégiée et aura dans les prochaines semaines d’autres occasions de retrouver la musique vivante. Ce programme sera répété les 16 et 18 juin tandis que celui du 25 permettra d’entendre la Trente-neuvième Symphonie ainsi que le Cinquième Concerto pour violon avec en soliste l’excellent Konzertmeister Bogdan Zvoristeanu.
Le Grand Théâtre ouvrira également ses portes à nouveau pour une série de concerts d’une heure sans entracte. Sabine Devieilhe y chantera Mozart et Strauss le 13 Juin. L’OSR et Jonathan Nott donneront le 19 Juin des extraits de La Traviata de Verdi ainsi que de Parsifal de Wagner avec en solistes Elsa Dreisig, Andreas Schager, Julien Behr et Georg Zeppenfeld. Enfin, la saison sera close le 2 juillet avec un récital de Jonas Kaufmann dans le cycle La Belle Meunière de Schubert.
Il y a un certain vertige à ressortir écouter de la musique dans une situation qui n’est certes pas idéale mais ceci nous permet de redécouvrir l’affirmation de la vie que la musique représente. Voici une soirée de renaissance unique et très forte donc le souvenir et la singularité resterons longtemps dans nos mémoires.
Antoine Lévy-Leboyer
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