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La beauté wagnérienne malgré tout

Madrid
Teatro Real
02/12/2020 -  et 14, 16, 18, 21, 23*, 25, 27, 28 février 2020
Richard Wagner: Die Walküre
Ingela Brimberg*/Ricarda Merbeth (Brünnhilde), Christopher Ventris*/Stuart Skelton (Siegmund), Elisabet Strid*/Adrianne Pieczonka (Sieglinde), Ain Anger*/René Pape (Hunding), James Rutherford*/Tomasz Koniezcny (Wotan), Daniela Sindram (Fricka), Julie Davies (Gerhilde), Samantha Crawford (Ortlinde), Sandra Ferrández (Waltraute), Bernadette Fodor (Schwertleite), Daniela Köhler (Helmwige), Heike Grötzinger (Siegrune), Marifé Nogales (Grimgerde), Rosie Aldrige (Rossweise)
Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Pablo Heras-Casado (direction musicale)
Robert Carsen, Patrick Minmonth (conception), Patrick Kinmonth (décors et costumes), Manfred Voss (lumières)


C. Ventris, A. Anger, E. Strid (© Javier del Real/Teatro Real)


Un an après, le Ring de Carsen se poursuit à Madrid. Le héros, la demi-déesse et les dieux puissants ma non troppo, la lutte infinie, la haine toujours renouvelée, la grande faute originale (rien à voir avec le péché originel, ici c’est la faute des dieux, d’un dieu) et le ressentiment menant à la tragédie finale (racontée dans Le Crépuscule des dieux)... Tout cela, avec d’autres dimensions de la Tétralogie, se retrouve dans les situations dramatiques de cet opéra où la dimension des intimités familiales ou féodales ne doit pas être oubliée. Malheureusement, dans la mise en scène de Carsen, il y a trop de dimension familiale, mais bourgeoise (une des malédictions, semble-t-il, de L’Anneau, tout comme avec un opéra aussi différent que Pelléas et Mélisande: famille fin de siècle, avec un peu de mélange d’images d’actualité). C’est bien dommage, parce que Carsen, comme Kupfer et Chéreau, est un des grands metteurs en scène du renouvellement de l’opéra. Il n’appartient pas à l’explosion des metteurs dont le caprice et l’arbitraire spectaculaires dissimulent le manque de sens et de talent théâtral. Avec toute ma considération, je crois que cette-fois-ci, l’approche de Carsen est incohérente même s’il y a une idée qu’il faudrait considérer en voyant toute sa Tétralogie. Mais celle-ci n’est pas inconnue, on en a déjà un peu trop parlé (et écrit). On ne rappellera pas ses défauts: on comprend que le héros n’existe plus, mais comment mettre en place l’affrontement et la lutte de Siegmund et Hunding sans cette dimension, au moins suggérée? Et les walkyries, toutes habillées en Monoprix, loin de leur dimension guerrière? Et le mythe? etc. Passons. Il faut cependant remarquer que les lumières de Manfred Voss apportent des nuances riches et très suggestives aux quatre grands tableaux de cet opéra.


Heureusement, la distribution et la direction d’acteurs sont d’un haut niveau. La dimension intime est assurée par la direction théâtrale et la direction musicale, et surtout par les voix (le duo de Sieglinde et Siegmund, l’âpre dialogue de Fricka et Wotan, la dispute du père et la fille, les monologues de Brünnhilde et des autres personnages, une distribution de seulement six personnages, hormis les huit walkyries atterrées ou apeurées, et pas de chœur). Comme il a beaucoup été question de la première distribution, on parlera ici de la seconde, d’un niveau enviable. Mais il faut préalablement mettre en garde face à un phénomène habituel avec les plus beaux (et plus longs) opéras de Wagner: l’équipe voix-fosse doit parvenir à faire fonctionner un spectacle de 5 heures (y compris 20 minutes pour chacun des deux entractes) comme s’il s’agissait d’un film de métrage normal. C’est le miracle d’opéras comme La Walkyrie: le temps passe sans qu’on s’en rende compte grâce à l’intensité et la vérité dramatiques de la musique dans cette intrigue de qualité assez moyenne (d’où la confusion des metteurs en scène, peut-être). Mais seulement si le chef, la fosse et les voix (des voix qui sont aussi celles d’acteurs) sont de qualité. Et eux, tous, ont accompli leur mission avec un haut niveau artistique. On a vu cette seconde distribution quelques jours après la première, et si l’on accepte entre parenthèse quelques critiques des collègues, il faut souligner que le chef et la fosse ont bien travaillé pour améliorer leur prestations dans les nuances, les entrées (pas trop de confusions cette fois-ci, à ce qu’il nous a semblé), les tensions lyrico-dramatiques, si importantes pour le maintien de l’intérêt de l’œuvre et de l’attention du public. Les faiblesses (rapportées) de la première ont évolué, on dirait, vers une prestation plus que compétente de Pablo Heras-Casado et l’Orchestre du Teatro Real.


Les six voix, de façon générale, sont belles. Et plus que cela, pour quelques rôles. Le Wotan correct, imposant parfois, mais un peu extérieur («das Ende», hélas) de James Rutherford a, face à lui, la Brünnhilde délicate et en même temps vigoureuse d’Ingela Brimberg, qui passe de façon naturelle de l’introspection à l’exaltation, les deux extrêmes, peut-être, de ce personnage généreux, le plus beau, la plus belle du Ring, sans doute contre-figure idéalisée de Mathilde Wesendonck. Brimberg domine ce rôle difficile, qui comprend plusieurs dimensions, mais toujours «positif», finalement toujours gratifiant. Daniela Sindram en Fricka (dans les deux distributions) est aussi une redoutable opposante de Rutherford, mégère, voix avec équilibre entre épaisseur et clarté, d’une maîtrise incontestable.


On a gardé pour la fin le triangle, le trio pas du tout infernal, puisque les deux amants-frère et sœur sont le portrait de l’amour véritable et du malheur insoutenable... un malheur dont le fruit à venir, amorcé par le motif du futur Siegfried répété pendant l’acte III, donne une dimension transcendante à cet amour inouï. Christopher Ventris et Elisabet Strid forment un couple qui semble idéal, malgré le lieu où la mise en scène les oblige à s’aimer (entre le campement de bohémiens et un drôle de refuge de trafiquants d’armes, pas dans un endroit caché de la maison de Hunding ou dans son terrain en pente): la voix à la fois délicate et affirmative de Strid (elle a chanté aussi Brünnhilde), la voix héroïque, large, colorée de Ventris (Tristan, Lohengrin, Parsifal), idéale pour ce héros malheureux et spécialement sympathique tout au long du Ring. Enfin, le Hunding efficace et au véritable sens scénique d’Ain Anger, malgré le traitement peu approprié dont il souffre dans cette vision théâtrale.


Les voix et l’ensemble des huit sœurs de Brünnhilde nous semblent toujours miraculeux; il faut huit voix puissantes, lyriques et héroïques à tour de rôle, à deux moments (au moins) de l’acte III, et il faut une coordination entre elles et la fosse. Les huit voix féminines internationales ont rendu justice à leur rôle ambigu d’héroïnes proches de la divinité et de jeunes femmes craintives de cette proximité. Cela rend certainement plus convaincant et plus sympathique le dessein de Brunhilde, même si nous voyons sur scène tout le contraire des amazones portant les corps des guerriers morts.


La direction de Pablo Heras-Casado, pour sa première Walkyrie, montre un caractère et peut-être aussi une technique capables de révéler les beautés du monde wagnérien; dans cet exercice difficile, il obtient d’excellents résultats.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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