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Quelques chapitres d’un roman

Baden-Baden
Festspielhaus
02/22/2020 -  et 16 (Rotterdam), 18 (Paris), 21 (Essen) février 2020
Gustav Mahler : Symphonie n° 5 en ut dièse mineur
Rotterdams Philharmonisch Orkest, Yannick Nézet-Séguin (direction)


Y. Nézet-Séguin (© François Goupil)


Quand on évoque les orchestres des Pays-Bas, c’est évidemment celui du Concertgebouw d’Amsterdam auquel on pense en premier. Pour autant, méconnaître l’Orchestre philharmonique de Rotterdam serait une erreur, du moins à en juger par l’actuelle excellence de cette formation, déjà appréciée en début de saison à Baden-Baden sous la direction de Lahav Shani, son nouveau directeur musical. A Paris, où cet orchestre a été régulièrement invité au Théâtre des Champs-Elysées pendant le mandat de Yannick Nézet-Séguin (de 2008 à 2018), sa réputation paraît à peu près correctement établie maintenant, mais probablement pas au niveau mérité. Du moins c’est ce que laisse penser cette superbe Cinquième Symphonie de Mahler, magnifiée par la fine acoustique du Festspielhaus de Baden-Baden, bien plus flatteuse que celle de la salle parisienne. Ce type de grande formation est de toute façon idéal pour nous révéler le potentiel d’un orchestre, et ce soir les motifs de satisfaction sont nombreux. Quelques têtes connues de compatriotes de haute volée dans la petite harmonie (Juliette Hurel à la flûte et Bruno Bonansea à la clarinette), mais on identifie aussi le trompettiste suisse Giuliano Sommerhalder, passé auparavant au Gewandhaus de Leipzig et le Concertgebouw d’Amsterdam, et on découvre la jeune corniste portugaise Cristiana Neves Custódio, qui réalise ce soir un parcours époustouflant dans le difficile Scherzo : vraiment une équipe pas du tout banale. Du côté des cordes, on remarque aussi la belle ampleur des violoncelles et des contrebasses, à même de donner aux tutti une somptueuse assise qui n’a vraiment pas grand chose à envier à la Rolls-Royce amstellodamoise. Là encore, aucune faiblesse à déplorer.


L’instrument est là, avec un potentiel que Yannick-Nézet Séguin connaît parfaitement. Est-ce pour cette raison qu’il ménage ses effets sur la durée, préférant ne pas tout jeter dans la mêlée dès le début de la Trauermarsch initiale ? Passée la fanfare de trompette (avec sa cellule rythmique si proche, aux croches à peine un peu plus resserrées en triolet, de celle qui ouvre une autre Cinquième, celle de Beethoven, la coïncidence n’est pas fortuite et à valeur d’hommage), on s’attendrait à davantage d’impact voire de pesanteur. Sur le podium, la silhouette du chef est déjà très agitée mais la grande machine ne tourne pas à plein régime. Somme toute, l’entrée en matière est bonne mais n’impressionne pas particulièrement. De même que les différentes strophes de cette marche pourraient être encore plus différenciées, notamment dans les accentuations. En fait, le propos s’affine davantage dans la suite de ce que Mahler intitule sans ambiguïté Première partie : le Stürmisch bewegt, enchaîné immédiatement. Là le tempo plus vif sied davantage à ce style de direction très dynamique, qui joue beaucoup sur les relances et les césures. Nézet-Séguin a une façon assez particulière de laisser le discours se poser un bref moment, avant de reprendre et dynamiser les musiciens pour l’épisode suivant. Le procédé est un peu systématique, encore que pleinement en phase avec la fragmentation même de l’écriture de Mahler, ce côté « romanesque » qui enchaîne les péripéties variées. Mais manque quand même une vision d’ensemble plus continue, au risque que l’attention de l’auditeur se perde en route. Un phénomène qui ne se produit en revanche pas du tout au cours du magistral Scherzo, très bien conduit et dosé, mais aussi parce que là qualité des premiers pupitres de l’orchestre se révèle décisive. Sage Adagietto ensuite, avec une harpe pragmatiquement placée juste devant le podium du chef et des cordes enveloppantes, surtout du côté des violoncelles, mais dont les phrasés d’une sobriété prudente peuvent laisser un rien sur sa faim, mais là c’est vraiment affaire de goût. Très convaincant Final, où l’on retrouve à nouveau les segmentations ostensibles de Nézet-Séguin, mais qui aèrent agréablement la structure, avant une coda où le chef se livre à une électrisante démonstration d’athlétisme qui déchaîne enfin tout le potentiel sonore de l’orchestre.


Concert un peu court, dont on sort séduit par la magnificence du Philharmonique de Rotterdam peut-être davantage que par la « vision » mahlérienne du chef, à notre avis encore un rien courte d’inspiration et de puissance. En tout cas une bien belle fête sonore, à laquelle toutefois l’étonnant Aziz Shokhakimov entendu la semaine dernière avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg dans cette même Cinquième, peut se confronter sans rougir, voire marque en comparaison quelques points supplémentaires dans l’investissement émotionnel.



Laurent Barthel

 

 

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