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Autorité et passion Vienna Konzerthaus 02/13/2020 - et 15, 16 février 2020 Gustav Mahler : Rückert-Lieder
Johannes Brahms : Quatuor avec piano n° 1, opus 25 (orchestration Arnold Schönberg) Matthias Goerne (baryton)
Wiener Philharmoniker, Christoph Eschenbach (direction)
C. Eschenbach (© Jonas Holthaus)
Voici une performance qui concilie en quelque sorte les qualités d’une prise en studio, avec la fièvre de la fosse d’opéra. Le programme est dense, bref (la durée remplirait à peine la surface d’un CD), mais conduit magistralement par des interprètes qui savent en extraire tout le suc musical. Dès les premières notes des Rückert-Lieder, on est saisi à l’estomac par la perfection de l’interprétation: une concentration de chaque instant capturant instantanément l’attention, qui sculpte les moindres détails de la partition. La délicate balance entre le velouté du timbre du baryton Matthias Goerne, dont la voix semble interpénétrer les pupitres de cordes, procure un plaisir équivalent à celui d’une écoute analytique au casque, donnant l’illusion de se rapprocher au plus près des interprètes. Chaque pièce est individualisée avec un minimum de moyens, le dernier lied prêtant à observer le fascinant dosage de la respiration du chanteur parvenant à simuler un souffle ininterrompu. Vingt minutes de musique, ce serait un peu mesquin pour un concert habituel – mais à l’issue de cette première partie, on n’y ajouterait pas une seule note qui risquerait de troubler cet équilibre idéal.
Autre pièce de gros calibre, la remarquable orchestration par Schönberg du Premier Quatuor avec piano de Brahms. L’ambiance est désormais oppressante, Christoph Eschenbach imprimant une vivacité et une urgence extraordinaires à sa lecture. Les sonorités plantureuses déployées par les cordes, la densité de la petite harmonie ne s’opposent jamais à la transparence des voix intérieures, à la vitalité des dynamiques ou au tranchant des attaques. L’art de la direction d’orchestre semble tout d’un coup étonnamment simple, le travail du chef se réduisant à canaliser l’énergie des pupitres pour créer une série d’atmosphères extrêmement précises. Cette course permanente vers l’avant a quelque chose d’éreintant, et il faut attendre le rondo final alla zingarese pour enfin voir les musiciens lâcher les brides et introduire un peu de chaos dans la redoutable machine philharmonique.
Dimitri Finker
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