About us / Contact

The Classical Music Network

Strasbourg

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Envoûtement

Strasbourg
Palais de la Musique
02/13/2020 -  et 14 février 2020
Richard Wagner : Tristan und Isolde: Prélude et Mort d’Isolde
Gustav Mahler : Symphonie n° 5 en ut dièse mineur

Orchestre philharmonique de Strasbourg, Aziz Shokhakimov (direction)


A. Shokhakimov (© Nicolas Rosès)



Aziz Shokhakimov : encore un jeune chef qui déboule dans la saison de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, en arrivant de nulle part. Enfin pas tout à fait, mais la notoriété de ce prodige né en 1988 à Tachkent, n’est pas encore bien consolidée en France, où il n’a dirigé pour l’instant que peu de concerts, dont un très remarqué à Radio France l’an dernier, en remplacement de Youri Temirkanov. En Allemagne, sa réputation de chef de répertoire lyrique est en revanche bien établie, notamment au Deutsche Oper am Rhein où il dirige de nombreuses productions depuis cinq ans. Et puis bien sûr il y a l’Ouzbékistan, où Shokhakimov a débuté à l’âge de 13 ans à la tête de l’Orchestre symphonique national, formation dont il est devenu plus tard, de 2006 à 2012, le directeur musical. Mais Tachkent c’est loin !


En tout cas ce soir, et dès le tout premier motif du Prélude de Tristan et Isolde, il va se passer beaucoup de choses étonnantes. Pourtant l’aspect du chef déconcerte : silhouette nerveuse, très ronde, visage poupin sous une grosse touffe de cheveux bouclés, premiers gestes un peu hasardeux, ou du moins anticipant beaucoup... Même dans l’orchestre passent ici ou là quelques mimiques incrédules au début (surprise amusée ? bienveillance circonspecte ? on ne sait pas trop...). Donc première phrase aux violoncelles et aux bois, long silence, redite, long silence encore... bref l’ordinaire d’un début de Tristan, et pourtant déjà là, en quelques mouvements un rien patauds, une étonnante prise de contrôle. Et la suite va fasciner : vagues successives où le chef réussit à chaque fois à individualiser fortement son emprise sur le groupe de musiciens qui va faire son entrée, laisse s’écouler une infime fraction de seconde, puis laisse filer. Est-ce du fait de la concentration exigée pour obtenir ce rien de rubato, pour autant jamais exagéré, que l’Orchestre philharmonique de Strasbourg paraît aussi motivé et attentif ? En tout cas on l’a rarement entendu sonner avec une pareille densité, opulence que le chef cherche manifestement à pousser toujours plus loin, et en arrivant le plus souvent à ses fins. D’ailleurs heureusement que dans le Liebestod qui s’enchaîne il n’y a pas de soprano à accompagner, parce qu’il faudrait vraiment là le gabarit d’une Flagstad ou d'une Nilsson pour ne pas se noyer dans ce torrent de volupté sonore. Too much ? Même pas.


Pas d’entracte. Le temps de faire entrer quelques musiciens supplémentaires et Vincent Gillig attaque brillamment à la trompette la Marche funèbre initiale de la Cinquième Symphonie de Mahler. Et là, nouveau test, comment le chef va-t-il le suivre et négocier l’affaire? Eh bien, très exactement comme la partition l’indique : In gemessenen Schritt. Streng, mesuré, rigoureux, mais aussi avec une aptitude peu ordinaire à faire sortir l’orchestre de ses gonds aux moments stratégiques, sans que la sonorité de l’ensemble perde en distinction. Là encore s’établissent d’emblée entre le chef et les musiciens de fermes courroies de transmission, qui ne laissent absolument rien au hasard. Comment Shokhakimov y parvient-il ? L’alchimie est mystérieuse, procédant vraisemblablement d’une connaissance tellement approfondie de la partition, cependant pas dirigée par cœur, qu’il n’y a plus aucun problème d’intendance. Même impression de sécurité dans les mouvements suivants, dont un Scherzo hardiment lancé par les cors et dont l’exubérance ne retombe jamais. Très belle partie de cor solo obligé aussi, «sortie» avec beaucoup d’allure par le jeune Alban Beunache (il y a bien longtemps qu’on ne s’extasiait plus sur ce pupitre à Strasbourg, les temps changent !). Encore plus magique, l’Adagietto, où l’on retrouve la même souplesse que dans Tristan, un ensemble de cordes qui respire et phrase à la perfection ensemble, avec en figure de proue Charlotte Julliard entraînant glorieusement ses troupes : vraiment très beau! Et enfin un Final qui se termine en folie, la battue du chef devenant d’une telle précision dans l’accélération qu’on la dirait décomposée par un stroboscope. Passionnant concert, qui domine d’assez haut toutes les étapes précédentes de ce cycle Mahler, et manifestement confirme qu’il y a bien un phénomène Shokhakimov à vivre, expérience du reste difficile à décrire, où le magnétisme du chef d’orchestre peut tourner à la sorcellerie du chaman. Et qu’autant d’énergie et d’ascendant puissent émaner d’un jeune trentenaire est assez bluffant.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com