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Une perle et des fantômes

Metz
Opéra-Théâtre
02/02/2020 -  et 4, 6, 8 février 2020
Giuseppe Verdi : La traviata
Tuuli Takala (Violetta Valéry), Jonathan Boyd (Alfredo Germont), Stefano Meo (Giorgio Germont), Lidija Jovanovic (Flora Bervoix), Sylvie Bichebois (Annina), Osvaldo Peroni (Gastone de Letorières), Christian Tréguier (Le docteur Granville), Olivier Déjean (Le baron Douphol), Thomas Roediger (Le marquis), Julien Belle (Le commissaire), Jean Sébastien Frantz (Le domestique), Ge Song (Giuseppe), Charlène François (L’âme), Ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole
Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, Nathalie Marmeuse (cheffe de chœur), Orchestre national de Metz, David Reiland (direction musicale)
Paul-Emile Fourny (mise en scène), Poppi Ranchetti (scénographie), Giovanna Fiorentini (costumes), Patrice Willaume (lumières), Timothée Bouloy (chorégraphie), Tommy Laszlo (conception vidéo)


T. Takala, J. Boyd (© Christian Brémont/Opéra de Metz-Métropole)


La Traviata s’inscrit parfaitement dans la ligne définie par Paul-Emile Fourny pour la saison messine, centrée sur la violence faite aux femmes. Le directeur de l’Opéra-Théâtre de Metz-Métropole reprend sa mise en scène de 2013, qui avait fait couler beaucoup d’encre à l’époque, certains ayant été déroutés par une idée force originale: faire de tous les protagonistes de pâles figures fantomatiques tournoyant tels des oiseaux de proie au ralenti autour du couple Violetta et Alfredo, d’autant plus isolés comme seuls êtres de chair et de sang.


Ce parti pris fonctionne en fait assez bien, répondant à des pratiques scénographiques de distinction entre les personnages plus classiques qu’il n’y paraît. Le décor unique, entièrement en tulle, est constitué des parois de l’intérieur d’une pièce aux murs tendus de papier peint à motifs de bambous surmontés d’un plafond orné de style bourgeois du XIXe siècle. Ces murs transparents resserrent la scène autour des protagonistes, les enferment symboliquement, et permettent aux fantômes d’apparaître en surimpression, maquillés de gris et vêtus de même d’un camaïeu gris pastel par Giovanna Fiorentini. Ils attendent, de l’autre côté du miroir, debout ou sur une chaise, leur prochaine intervention, comme des oiseaux de mauvais augure. Tout cela est très cohérent, et n’a que le désavantage de rendre la scène plus étroite, laissant peu de marge de manœuvre aux danseurs du ballet de l’opéra préparés par Timothée Bouloy, l’espace scénique étant très rempli en présence du chœur, malgré une scénographie des plus dépouillées (un bureau, une chaise ou deux, puis un canapé au quatrième acte, en dépit de certains détails du livret: le luxe évoqué par Germont au second acte, «Pur tanto lusso»). Mais in fine, il manque tout de même à cette mise en scène l’impression violente de la pourriture mortifère qui devrait se faire sentir derrière les sourires carnassiers et la folle ivresse des courtisans, l’ensemble de la scénographie de Poppi Ranchetti se révélant assez lisse, malgré quelques rares fulgurances des projections vidéo de Tommy Laszlo au troisième acte. Et ce dépouillement met les acteurs à nu, ce qui n’est pas sans conséquence, en fonction de leurs qualités premières dans le domaine.


A peine trentenaire, Tuuli Takala avait été repérée par Paul-Emile Fourny au festival de Savonlinna en 2016, et constitue la perle de cette production. Pour une prise de rôle, elle impressionne beaucoup, par la grâce d’un soprano lyrique large au timbre riche et sombre, très égal sur tout l’ambitus, et doté d’une projection impressionnante. Cette ancienne Reine de la nuit ne craint pas les envolées aiguës du premier acte (un «Sempre libera» bien maîtrisé) mais s’épanouit mieux encore dans les grandes phrases du deuxième (un «Amami Alfredo» formidable). Cet épanouissement nous fait craindre un moment que la mariée soit un rien trop belle, dans la mesure où cette ampleur des moyens et cette santé vocale entrent en contradiction avec la phtisie qui ne semble guère l’atteindre avant le quatrième acte, malgré le sang révélé dans les mouchoirs. C’est alors que la soprano finlandaise se mue en tragédienne, après une lecture de la lettre très personnelle et poignante, jouant de multiples couleurs et amoindrissant l’impact de sa voix jusqu’à risquer la fêlure dans un «Addio del passato» très réussi, qui se meurt en un la chancelant. La fin de l’acte est de la même eau. Il ne lui reste qu’à inscrire un peu de progressivité à cette trajectoire sur l’ensemble de l’œuvre pour parfaire une interprétation d’emblée très réussie.


Son chevalier servant, Jonathan Boyd, est bien moins marquant. Son timbre mat assez typique des voix anglo-saxonnes ne séduit guère par manque de métal et de squillo, et ne se pare de lumière que dans l’aigu fortissimo. Malgré un certain nombre de nuances bien pensées, il n’émeut guère, l’acteur, quoiqu’investi, ne rachetant pas la voix. Déception également devant le Germont père de Stefano Meo, colosse italien aux pieds d’argile, à la voix ample et au timbre splendide, qui ne manque pas de présence en scène (malgré une direction d’acteurs qui ici montre ses limites) mais dont le haut médium et l’aigu chancellent de plus en plus durant la représentation. Puisque c’est dans ces notes que réside l’ambivalence et le caractère émouvant du personnage de Giorgio, inconscient des conséquences de ses fatales exigences, on est déçu, même si, quand Alfredo seul tente de suivre Violetta partie vers Paris et tombe nez à nez avec lui, on croit voir la statue du Commandeur lui barrer la route, ce qui crée un effet frappant.


Sans citer tous les comprimarii, se détachent la brillante Flora de Lidija Jovanovic, voix magnifiquement projetée, avec un joli vibrato stretto, l’imposant d’Obigny de la basse Thomas Roediger, et l’excellent Docteur Granville de Christian Tréguier, à la voix inaltérée, concentrant en ses deux phrases toute la compassion du monde.


L’un des attraits de cette production résidait dans la première interprétation de cette œuvre par le chef David Reiland, étoile montante de la baguette, qui ne déçoit pas. A la fois brillante, souple et ultra rigoureuse, sa direction a quelque chose de Toscanini et exprime à merveille le caractère inexorable du destin de Violetta. Assurément, un chef à suivre de près, promis à un bel avenir. Le chœur de l’Opéra-Théâtre, préparé par Nathalie Marmeuse, est d’une présence et une cohérence comme toujours remarquables.


Somme toute, cette reprise aura permis de revaloriser la mise en scène de Paul-Emile Fourny, et de révéler une soprano et un chef de très haut niveau, ce qui est beaucoup, ainsi que de fêter le 268e anniversaire de l’opéra messin, avec un magnifique Joyeux anniversaire entonné par tous les chanteurs et le chœur sur scène.



Philippe Manoli

 

 

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