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Le petit monde de Patricia

Strasbourg
Opéra national du Rhin
02/05/2020 -  
Mélodies et pièces pour piano de Bach, Barber, Bacri, Satie, Lennon, Tiersen, Rodrigo, Fauré, Cras, Poulenc, Granados, Copland, Baska, Escaich, Mignone et Weatherly.
Patricia Petibon (soprano), Susan Manoff (piano)




Quiconque prévoit d’assister à un récital de Patricia Petibon doit s’attendre à un minimum d’excentricités, sinon, vraiment, rien ne va plus ! Et pourtant la thématique annoncée de cette soirée – «L’amour, la mort, la mer» – n’annonce rien de désopilant, ni d’ailleurs l’entrée en matière solennelle de la soprano, longuement plantée devant le piano, coite, pendant que Susan Manoff joue seule le beau choral de Bach/Busoni Ich ruf’ zu dir, Herr Jesu Christ. Cela dit, à droite, au bout de la table de l’instrument ouvert, émerge une longue queue de crustacé vert pomme à paillettes, ce qui laisse présager quelques farces à venir.


Enchaînement raffiné, avec les harmonies cristallines d’une sublime mélodie de Samuel Barber, The Crucifixion, ambiance prenante mais qui assurément ne se déride pas non plus. Et même sérieux ensuite pour deux mélodies compassées de Nicolas Bacri, la première, All through Eternity d’un sostenuto intéressant, la seconde, A la mar à notre avis plus convenue d’inspiration, à quelques cris écorchés de pseudo cante jondo près. Et puis pendant que Susan Manoff attaque Idylle de Satie, pour piano seul, la soprano, qui s’était retournée un moment dos au public, lui fait à nouveau face, équipée d’un nez postiche en peluche rouge et d’une marionnette ! Les accessoires d’une brève chorégraphie décalée, genre Isadora Duncan reconvertie en animatrice pour écoles maternelles, avant de s’éclipser un bon moment derrière le couvercle de l’instrument, le temps que Susan Manoff égrène jusqu’au bout sa petite musique obstinée.


Un Fauré sérieux ensuite, correctement chanté et articulé, mais qui détonne d’autant plus dans le contexte que juste après on passe à Oh my love de John Lennon (culte, mais sensiblement insignifiant), Adela de Joaquín Rodrigo (d’un lyrisme douceâtre, plutôt cheap, à moins d’être transfiguré par le timbre d’une Berganza), et puis même, patatras, deux pièces pour piano seul des plus basiques de Yann Tiersen (à chaque fois quelques miettes de Debussy ânonnées sur des pages entières, au mieux intéressant pour sonoriser les moments de spleen et les ascenseurs...). Et aussi l’occasion de nouveaux moments de créativité chorégraphique impavides, comme ce récital nous en réservera encore plusieurs autres, avec à chaque fois des jouets différents à l’appui : marionnettes, faux nez de couleurs variables, mini-baleine en feutrine, baudruches plastiques en forme de poissons divers... A noter que tous ces ballets de la soprano sont réservés à des pièces pour piano seul d’une inspiration que l’on qualifiera poliment d'anodine (y compris même un Piano Blues n° 3 de Copland assez peu saillant, du moins lors d’une première écoute), miniatures au demeurant superbement jouées par Susan Manoff, toujours irréprochable.


Entre ces exutoires bizarres, le propos reste à vrai dire plus que sérieux voire épisodiquement sombre, au fil d’un programme émietté mais qui réserve quelques belles étapes: Les Berceaux de Fauré, trois Granados aux affects subtils, La Rencontre de Jean Cras, malheureusement polluée par quelques ports de voix hystériques et improvisations bretonnantes d’un goût limite, un intéressant Chant des lendemains de Thierry Escaich sur un texte d’Olivier Py (un vrai sonnet, et en alexandrins, mazette!), et surtout le flamboyant Sanglots de Francis Poulenc, où malheureusement la voix de Patricia Petibon commence à montrer la trame, avec un relatif manque d’assise et des aigus difficiles. Même problème pour le Danny Boy final ainsi que pour l’unique bis, une chanson portugaise aux décolorations vocales sciemment dramatisées mais pas toujours très loin du miaulement. Concédons que juste auparavant Petibon vient de chauffer la salle à blanc, avec Dona Janaína, une des Líricas du compositeur brésilien Francisco Mignone, au demeurant d’un folklorisme tout à fait élégant, mais transformée pour la bonne cause en un criailleur numéro de cirque, caquetage carioca aussi délirant qu’épuisant.


Quelques saluts et puis les deux complices s’éclipsent, après avoir ramassé la plupart des jouets qui traînent encore sur le plateau. Qu’en reste-t-il ? Le souvenir d’une soirée qui dynamite crânement le cadre compassé du récital de chant traditionnel, mais dont la dispersion voire le manque de sécurité vocale laissent sur sa faim. Une impression à confirmer ou nuancer à l’écoute du récital discographique «L’amour, la mort, la mer», au programme très proche, à paraître chez Sony dans quelques jours.



Laurent Barthel

 

 

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