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Le feu sous la glace

Paris
Cité de la musique
01/29/2020 -  
Kaija Saariaho : Lichtbogen
Anton Webern : Fünf Kanons nach Lateinischen Texten, opus 16 – Fünf Geistliche Lieder, opus 15
Matthias Pintscher : Lieder und Schneebilder
Hans Abrahamsen : Schnee

Yeree Suh (soprano), Dimitri Vassilakis (piano)
Ensemble intercontemporain, Matthias Pintscher (direction)


Y. Suh (© Marco Borggreve)


Il revient à l’envoûtant Lichtbogen (1986) pour neuf instruments et électronique en temps réel d’ouvrir la soirée placée sous le signe de la neige. Une aurore boréale est à l’origine de cette composition certes assez ancienne dans le foisonnant catalogue de Kaija Saariaho (née en 1952), mais déjà typique de sa manière en ce qu’elle exalte ces vagues enveloppantes (langueur des coups d’archet aux cordes), ces timbres mouillés (il est difficile de distinguer ce qui provient de l’électronique de ce qui provient des instruments) et ces nappages des vents (arabesques irisées du piccolo). La forme semble sans début ni fin – comme si l’on cueillait l’œuvre au cœur de son développement.


Le concert mettait également le canon à l’honneur. Le modèle, pour les musiques des XXe et XXIe siècles, a pour nom Anton Webern (1883-1945) – «tailleur d’éblouissants diamants» selon Stravinsky – dont sont proposés les Cinq Canons sur des textes latins (1924) pour soprano, clarinette et clarinette base, et les Cinq Lieder spirituels (1922) pour soprano et ensemble sur des textes allemands. Le soprano de Yeree Suh fait merveille dans cette écriture vocale très instrumentale (comme chez Bach), hérissée d’intervalles disjoints périlleux pour la justesse. Auprès de l’austérité monacale de l’accompagnement de l’Opus 16, l’Opus 15 paraît autrement plus séducteur: s’y fait jour la Klangfarbenmelodie (trompette bouchée) typique de son auteur, associée aux textes extraits du Knaben Wunderhorn. Matthias Pintscher dirige avec beaucoup de sensibilité, projetant telle anacrouse (harpe) d’un geste dramatique, comme pour insuffler sève et vigueur à une partition dont le formalisme n’est pas la moindre des qualités.


A l’instar de Berio (Circles, 1960) et Boulez (Cummings ist der Dichter, 1970), Matthias Pintscher (né en 1971) a mis en musique les textes du poète américain E. E. Cummings (1894-1962) à travers son cycle vocal Lieder und Schneebilder (2000). Yeree Suh y est éblouissante de naturel et d’ingénuité, se laissant surprendre au cœur de l’émerveillement avant de s’évanouir dans ce «silence» au sein duquel toute musique est appelée à retourner. Tour à tour fusionnel et disruptif, le discours pianistique de Dimitri Vassilakis privilégie les sonorités feutrées, parfois tirées du cœur même de la table d’harmonie.


Hans Abrahamsen (né en 1952), dans le sillage de Ligeti ou Holliger, s’est aussi laissé tenter par le canon, qu’il nourrit cependant à d’autres mamelles: «Schnee évoque de la musique minimaliste mais utilise des techniques très entendues, comme la microtonalité et toutes les techniques de la musique d’aujourd’hui», confie-t-il à Laurent Vilarem. De fait, c’est moins l’appareil scholastique que perçoit l’auditeur dans ces «dix canons pour neuf instruments» (2008) répartis en cinq mouvements symétriques cadencés par trois «intermezzos» que différentes couches de rythmes superposées (on pense plus d’une fois à Steve Reich), portées par une pulsation incoercible. La concentration sur une portion réduite de registres et les cellules mélodiques limitées à de petits intervalles créent un phénomène de camaïeux, à l’image du dégradé de blanc qui enrobent les massifs enneigés. Dans ses dialogues avec Anne Roubet récemment édités (Les Editions du Conservatoire), le clarinettiste Alain Damiens reconnaît que les membres de l’EIC n’ont pas été suffisamment formés pour aborder le répertoire de la musique répétitive quand David Robertson – le premier – leur fit jouer Steve Reich: «La formation des musiciens de l’EIC ne les prépare pas à ce type de concentration et de gestion du temps très contrainte.» Force est de constater que les choses ont changé: les neuf instrumentistes ont remarquablement joué cette musique (probablement très ingrate à travailler individuellement tant elle ne «fait sens» que dans le collectif), guidés par le geste intense de Matthias Pintscher. Le feu sous la glace.



Jérémie Bigorie

 

 

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