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Manque de lustre Toulon Opéra 01/24/2020 - et 26*, 28 janvier 2020 Gioacchino Rossini: Le Comte Ory Marie-Eve Munger (La Comtesse Adèle), Eve-Maud Hubeaux (Isolier), Sophie Pondjiclis (Dame Ragonde), Khatouna Gadelia (Adèle), Francisco Brito (Le Comte Ory), Armando Noguera (Raimbaud), Thomas Dear (Le gouverneur), Laurent Podalydès, Léo Reynaud (comédiens)
Chœur de l’Opéra de Toulon, Christophe Bernollin (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra de Toulon, Jurjen Hempel (direction musicale)
Denis Podalydès (mise en scène), Laurent Delvert (réalisation), Christian Lacroix (costumes), Cécile Bon (chorégraphie), Stéphanie Daniel (lumières)
(© Kévin Bouffard/Opéra de Toulon)
Pour ne pas (trop) s’attirer les foudres de l’Eglise, le sujet étant quand même assez scabreux pour l’époque, Rossini et son librettiste, Eugène Scribe, placent l’action du Comte Ory au temps des croisades, censées reprendre le Saint-Sépulcre aux Sarrasins. Denis Podalydès transpose l’histoire de cet opéra bouffe à la Restauration française, mieux à même, selon lui, d’expliquer cette délirante histoire, véritable épitomé du travestissement, d’une vertueuse comtesse qui s’ennuie, et d’un séducteur invétéré et transgressif, le Comte Ory. Historiquement, l’idée est loin d’être sotte, surtout si l’on se souvient qu’à l’époque de la création de cet opéra, la France faisait ses premières tentatives de conquête de l’Algérie dans un contexte où le puritanisme anglais contaminait les esprits. Voilà donc l’assise de cette mise en scène qui délaisse le gothique au profit du néogothique, où la «folie» des personnages est expliquée par les interdits de l’Eglise et le répréhensible «désir». Le château moyenâgeux de la Comtesse devient donc le réfectoire d’un couvent et la retraite du comte une église encombrée de boiseries austères, d’un confessionnal, d’une immense chaire, de prie-Dieu, ou autres armoires de sacristie, de style «Louis-Philippe» bien évidemment. Les costumes de Christian Lacroix, plus imaginatifs et plus riches en d’autres circonstances, sont décevants. Et du coup, ces éléments du décor plombent l’ambiance. De toute évidence, il manque à cette proposition scénique une touche de génie qui aurait permis une meilleure adéquation à un ouvrage hilarant et débridé. Cela dit, la mise en scène nous offre quelques moments plaisants et bien tournés, hélas rares: l’entrée de la Comtesse qui permet enfin d’esquisser un sourire, le final du premier acte, fort bien troussé malgré un orchestre assourdissant, et la scène de la chambre du deuxième acte, moment difficile à mettre en scène. S’il ne rend pas ce passage plus lisible, Podalydès a au moins le mérite de le rendre amusant.
Fidèle à lui-même, Rossini recycle ici la musique de son Voyage à Reims. On se délecte de cette brillante partition, d’autant plus qu’elle est servie par Jurjen Hempel, le chef «maison» qui confirme sa solidité et son éclectisme à la tête d’un orchestre affichant une grande clarté. Le plateau vocal est honnête mais on regrette que quelques chanteurs ne correspondent pas vraiment aux canons rossiniens, tel l’Isolier d’Eve-Maud Hubeaux qui abuse de la puissance de sa voix, au timbre certes agréable et à l’émission claire, mais au détriment des exigences du bel canto. La basse de Thomas Dear est impressionnante d’étendue et de volume mais il fait du Gouverneur un personnage sérieux et raide, digne du Prince Grémine. Le rôle-titre est tenu par l’Argentin Francisco Brito dont la voix serait idéale pour Rossini s’il soignait davantage son legato. La seule à vraiment tirer son épingle du jeu est la soprano canadienne Marie-Eve Munger, bien à sa place dans cet emploi. Elle savoure les courbes mélodiques, maîtrise les acrobaties vocales sans que le timbre en souffre, et son sens d’un comique subtil fait mouche.
Saluons enfin la superbe prestation du Chœur de l’Opéra de Toulon, fort sollicité dans cet ouvrage, tout particulièrement dans la scène de la beuverie du second acte, dont la complexité est brillamment maîtrisée.
Le public reçoit ce Comte Ory avec enthousiasme, même si les «Bravo!» stentoriens provenant toujours du même gosier semblaient un peu cousus de fil blanc...
Christian Dalzon
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